Deux frères médecins, Boris et Dimitri, exercent dans le même cabinet au cœur du 13ème arrondissement, pas loin de la Place d’Italie. Solitaires, vivant dans deux appartements en vis-à-vis, ils s’épaulent et se protègent mutuellement : Boris a la voix forte, un comportement plutôt directif et autoritaire envers ses patients, tandis que Dimitri, pâle et blond, incarne davantage la douceur. Leur vie rangée consacrée à l’exercice de leur profession, quoiqu’ayant aussi sa part d’ombre, est bousculée lorsqu’ils tombent simultanément amoureux de Judith, la maman de la petite Alice, une enfant diabétique.
Le deuxième film d’Axelle Ropert développe une mise en scène élégante où l’alternance des tonalités (les à-plats rouges et flamboyants qui cadrent Judith alors que le bleu et le gris teintent l’univers des patriciens, sans que pour autant cela signifie tristesse ou laideur) rythme les rebondissements scénaristiques et les tourments des personnages. Tirez la langue, mademoiselle met aussi en lumière des sentiments et des valeurs comme la générosité, l’attention aux autres et la porosité empathique à la douleur de l’autre. En ce sens, Boris et Dimitri sont les médecins rêvés dans leur manière d’écouter et de suivre leurs (jeunes, pour la plupart) patients. Le film réussit aussi l’alchimie entre légèreté et gravité, tout comme l’ancrage dans un quartier parisien qui semble tenir à distance l’agitation et la fébrilité de la capitale. Ici on prend le temps de se saluer dans la rue et de prendre des nouvelles. Enfin, c’est l’honnêteté intellectuelle qui parait conduire l’existence des deux frères, y compris dans les moments difficiles et cruciaux, aussi bien auprès de leurs malades à qui ils tiennent un discours franc et direct que dans leur cercle privé.
Mais ce duo étrange et si foncièrement osmotique qu’il se suffit à lui-même, excluant du coup la possibilité d’un changement, n’est-il pas en définitive mortifère et l’heure de la maturité, autrement dit de la séparation, même si ceux-là ne sont pas « frères siamois », n’a-t-elle pas sonné ? Cette progression de la narration vers quelque chose de prévisible et de convenu finit par amoindrir les réelles qualités du film, dont on apprécie, parce qu’elle n’est guère fréquente, l’absence de cynisme et d’opportunisme. À la fois chronique réelle du quotidien de deux médecins et comédie rêveuse et habilement décalée, sans jamais trop appuyer le trait, réservant des espaces inattendus – Charles, l’ami des deux frères, hypocondriaque et conseiller – et faisant d’un métier souvent sanctuarisé et qu’on aimerait voir exercé avec infaillibilité une profession comme les autres, où les faiblesses et les erreurs peuvent aussi exister.
C’est bien cette impression de fragilité qui fait du film un objet attendrissant et attachant. Il s’en dégage de suite un sentiment de proximité et de bien-être avec les personnages pris dans une histoire singulièrement romanesque.