"Tirza" est une vraie curiosité néerlandaise, un de ces films à l'univers sombre et étrange qui ne racontent pas les (profonds) malheurs d'un personnage de manière unilatérale, noire et tragique. Sans vraiment pratiquer l'humour noir, il y a toujours entre deux séquences sérieuses et difficiles un moment de répit, un instant loufoque ou un trait d'esprit inattendu. Une entre-deux cultivé à dessein, au service d'une révélation qui surgit peu à peu du brouillard narratif, renforcé par plusieurs dispositifs de mise en scène. Une façon relativement originale de raconter la quête d'un père à la recherche de sa fille, et son glissement vers une quête intérieure, plus personnelle, à la faveur d'un voyage en Namibie.


Le film baigne dans une atmosphère assez froide, de la thématique à l'esthétique, du schéma de la spirale infernale aux couleurs ternes et glacées qui feraient passer le soleil namibien pour un astre gelé, sinistre et presque inquiétant. Du fond d'un bidonville jusqu'au milieu du désert, tout semble glacé. Une ambiance pesante sans être poisseuse qui aurait pu porter tous ses fruits si le film ne péchait pas par un excès de symbolisme récurrent. Rudolf Van den Berg (ou l'auteur qu'il adapte) avait suffisamment de matière pour ne pas se faire insistant sur ces aspects-là parfois poussifs, à l'instar de la séquence à mon sens absolument gratuite impliquant une hyène et un phoque. Le Mal cruel qui s'attaque au Bien innocent, la chemise maculée de sang du père qui récupère le corps inanimé de la bête, etc. L'indigestion guette.


Dommage, donc, car ce basculement psychologique offre une richesse surprenante, un renversement de perspective donnant à voir une toute autre histoire. De l’inquiétude naturelle d'un père pour son enfant, le cœur de "Tirza" glisse lentement vers une quête existentielle, celle d'un homme qui met lentement et involontairement le doigt sur le vide brûlant de son existence. Un pays, la Namibie, comme catalyseur de sa lucidité, et une prise de conscience progressive, chancelante, commune avec le spectateur. D'ailleurs, est-ce une forme de lucidité ou plutôt une forme de folie ? Difficile de se prononcer, et c'est là l'intérêt du film, car cette prise de conscience s'accompagne de flashbacks cousus dans le présent, comme si le passé s'invitait dans le quotidien du protagoniste aussi inopinément que les personnages peuplant sa mémoire. S'agit-il d'un souvenir matérialisé à l'écran, ou un produit de son imagination ? On appréhende ici une composante essentielle, un procédé narratif aussi flou qu'efficace qui nous laisse, au moins un certain temps, dans une incertitude créative. Incertain comme les contours de la folie qu'on observe et comprend peu à peu, incertain comme la curiosité qu'alimentent les divers mécanismes narratifs du film.


[Avis brut #85]

Morrinson
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le 25 avr. 2016

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