Un sujet compliqué, le déni de grossesse. Le genre de sujet à attiser les tensions, parce que les tripes parlent souvent à la place de la raison, grâce à des narrations flippantes dans les journaux télévisés, de bébés retrouvés congelés dans le bas du frigo, tout ça. Ici, la raison de l'héroïne semble s'effriter doucement, sans que personne ne s'en rende vraiment compte autour d'elle. C'est toute la beauté de l'inconscient : toujours à la manœuvre mais jamais à visage découvert. Pourtant, elle est entourée et aimée, l'héroïne, mais, parfois, c'est trop peu face aux histoires souterraines qui se trament dans les familles d'une génération à l'autre. A moment donné, on est bien obligé de se dire qu'on ne peut pas tout rationaliser; tout le monde n'a pas eu la chance, comme moi, d'avoir une copine qui avait lu un livre sur un type qui prenait sa femme pour un chapeau. Invraisemblable, mais avéré. Ou d'avoir lu cette histoire sur un autre type qui s'était fait couper une jambe saine parce qu'elle lui gâchait la vie. Impossible ? Peut-être pour vous et moi, mais il faut accepter que d'autres, à certains moments de leur vie, ne fonctionnent pas du tout comme nous. Quand on réalise vraiment l'insondabilité de notre psyché, on est en droit d'éprouver un certain vertige. Sinon, à défaut, on commence à vouloir enfermer tous ceux qu'on ne comprend pas. Puis à autoriser les institutions à le faire. Et c'est toute la subtilité de cette histoire : une avocate au ventre bien plus plat que le mien (merci, les petits plats mitonnés en cocotte en fonte!) accouche inopinément, un soir qu'elle est seule à la maison avec ses deux premières filles, mais son esprit refuse de réaliser ce qui se passe vraiment dans son corps. Le nourrisson finit sur une poubelle dans la rue. Là, le spectateur bien-pensant s'étouffe, il est là pour ça, sinon le film tombe à plat. Imaginez un monde où tous les spectateurs ne seraient mus que par le désir de mettre son prochain à l'aise sans l'agonir de jugements hâtifs... la moitié du catalogue Netflix tombe à l'eau ! Finis les mélodrames, les films à dossier, les plaidoiries larmoyantes, les films de prison, les sagas militantes... Heureusement, on est loin de la sainteté généralisée, et des scénarios peuvent encore camper des personnages de procureur bien rances en toute vraisemblance. Malgré tout, ici, c'est le mari qui surprend, par son ouverture d'esprit et sa faculté à accepter les errances incompréhensibles de sa femme mutique. D'autres se seraient récriés et auraient claqué la porte derrière eux. Mais lui donne la priorité à l'amour qu'il ressent pour ce mystère ambulant qu'il chérit depuis des années et n'incarne jamais ces réactions faciles qui fleurissent toujours dans ces cas-là. C'est le point fort de cette histoire : d'évoquer les jugements à l'emporte-pièce, à peine motivés, mais sans les considérer comme normaux. Un vrai bol d'air. Si on veut que les temps changent, il faut bien que quelque chose change, pas vrai ? Après, le film montre quand même quelques faiblesses, notamment dans les scènes de parloir, qui ressemblent à un téléfilm, soudainement, sans que je m'explique vraiment pourquoi. Malgré tout, les acteurs sont justes et le sujet, s'il n'est pas intégralement expliqué, est malgré tout traité, ce qui n'est pas si mal.

Créée

le 5 déc. 2024

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