Même pour qui connait l’œuvre plutôt atypique de Hideo Gosha dans le cinéma japonais, ce film surprend par la sorte de lucidité désespérée dont il fait preuve. Si le scénario retrace les dernières années du célèbre quartier de "plaisir" de Yoshiwara (吉原) à Tokyo, entre 1909 et 1911, date à laquelle il fut entièrement détruit dans l'incendie qu'évoque le titre japonais ("Yoshiwara enjo"), on voit bien que la facticité ici décrite, symbolise également le regard que peut porter Gosha sur son temps. Ainsi l'ascension de la geisha Hisano, personnage central de ce film, est de son propre aveux bâti sur le mensonge puisque seul le mensonge permet la réussite sociale, au prix du renoncement à tout ce qui pourrait être réellement vécu. Mais les moyens esthétiques employés par Gosha pour sa démonstration sont également forts surprenants, en équilibre instable au bord de la vulgarité mais sans jamais y sombrer avec une sorte de provocation qui n'est pourtant jamais gratuite; en jouant également violemment de l'émotion sans pourtant tomber dans la niaiserie. Peu de cinéastes sont capables de cette maitrise tout en prenant autant de risques. Nous avons donc bien à faire ici à une sorte d'ovni cinématographique, de cette sorte qui précisément nous rappelle que le cinéma peut aller bien au-delà de la distraction et exiger de nous tout autre chose, par exemple sur la façon dont nous nous positionnons socialement et sur la caution passive que nous donnons au mensonge et à l’oppression.
On notera que le scénario est de Kazuo Kasahara à qui l'on doit également celui du remarquable "Combat sans code d'honneur" de Kinji Fukasaku. De même, on n'oubliera pas non plus la fort belle musique de Masaru Sato qui souligne fort subtilement tous les non-dits tragiques de ce scénario.
En relation avec l'univers de Yoshiwara, on consultera L'Almanach des Maisons vertes, illustré par Utamaro et commenté par Jippensha Ikku, un fort curieux personnage. (http://www.senscritique.com/livre/L_almanach_des_maisons_vertes/164286) . Aussi, on pourra lire les nombreuses nouvelles que le grand écrivain Nagai Kafu consacra à la vie de ce quartier, symbolisant le "Monde flottant" en ce début du XXème siècle.

steka
9
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à ses listes L'archipel japonais, Références cinématographiques personnelles, Les meilleurs films japonais, Top 10 Films et Les meilleurs films de Hideo Gosha

Créée

le 20 avr. 2014

Modifiée

le 20 avr. 2014

Critique lue 942 fois

13 j'aime

4 commentaires

steka

Écrit par

Critique lue 942 fois

13
4

D'autres avis sur Tokyo Bordello

Tokyo Bordello
IllitchD
7

L'Entreprise

La vie du célèbre quartier des geishas de Yoshiwara est mise en scène par Hideo Gosha dans ce Tokyo Bordello. Tokyo Bordello est une incursion dans le monde très fermé des geishas. L'œuvre de Hideo...

le 28 janv. 2012

7 j'aime

Tokyo Bordello
Alligator
3

Critique de Tokyo Bordello par Alligator

Quelques jolis plans. Je retiendrais du bout des yeux, ça et uniquement ça. Et encore, par politesse. Parce que sinon le film est difficile à regarder jusqu'au bout, exaspérant. Pas facile de dire...

le 16 févr. 2013

2 j'aime

Tokyo Bordello
Arnaud_Mercadie
5

Ah! Les femmes

Avec le temps, j'ai appris à apprécier davantage la période "féministe" de Hideo Gosha qui se distingue réellement de la première partie de sa carrière, surtout Kagero et Femme dans un enfer d'huile...

Par

le 21 avr. 2017

1 j'aime

Du même critique

La Société du Spectacle
steka
10

Du Devenir marchandise

Lire « La société du spectacle » n'est pas chose aisée. Non pas que ce livre soit particulièrement difficile en lui-même, mais parce que cette difficulté tient à la nature même de son objet. En...

le 26 nov. 2011

96 j'aime

17

Le Prince
steka
9

Machiavélique ?

"Je prétends que ceux qui condamnent les troubles advenus entre les nobles et la plèbe blâment ce qui fut la cause première de la liberté de Rome : ils accordent plus d’importance aux rumeurs et aux...

le 2 déc. 2011

84 j'aime

30

Discours de la servitude volontaire
steka
10

De notre servitude volontaire

Ce livre fut écrit il y a cinq siècles. Pourtant, chez tous ceux pour qui le mot Liberté a encore du sens et qui accessoirement savent lire, son actualité s'impose cruellement. Car si la domination a...

le 27 nov. 2011

66 j'aime

2