Voilà que le prolifique Xavier Dolan (déjà 5 films en 5 ans, dont le dernier "Mommy" sélectionné à Cannes) revient sur nos écrans pour nous déstabiliser. Finis les plans colorés, joyeux et amoureux. C'est la fin de quelque chose qui se lit dès le premier plan, où l'on écrit l'impossibilité de pleurer, la perte sur du sopalin, comme dans l'urgence. Pour absorber aussi la tristesse et l'échec à lui trouver des synonymes. Et voilà que, cette perte achevée, c'est un nouveau monde qui s'ouvre à Tom. La magnifique séquence d'ouverture, aérienne et portée par la voix a cappella de Kathleen Fortin reprenant "Les moulins de mon cœur" de Michel Legrand, nous ouvre les portes de ce nouveau monde. Tom va à la ferme et ce n'est pas pour y rencontrer Martine et son chien patapouf mais une mère et son fils, dans un lieu étrange, comme inhabité et effrayant, où personne ne veut plus se rendre. Et d'où il semble difficile de partir (pour Tom avant tout, mais aussi pour Francis, qui, à 30 ans, se refuse encore à partir tout en le voulant chaque jour).
Que s'est-il passé ? Xavier Dolan a opéré un défrichage complet, et c'est vers le thriller voire le huis clos qu'il se tourne. Mais son obsession première est toujours là: parler d'un amour impossible. Ici, c'est taire l'amour passé et tué par la mort, le transformer, le vider de sa substance et tomber dans une autre relation. Une relation étrange, énigmatique, dérangeante. Elle commence dans le noir, comme un viol. Francis (Pierre-Yves Cardinal, génial dans ce rôle de brute sourde) se place au dessus de Tom et l'empêche de dire son amour. Sa voix alors s'éteint en ce qui concerne son amour mort. Plus rien sur eux, plus rien de cérémonieux, juste les souvenirs qui restent dans la tête. Et le secret qui pèse entre Tom et Francis. Mais c'est plus que ça qui se joue entre eux, dans les blés transformés en couteaux, dans les coups que reçoit Tom. Et dans ce film qui balance sans cesse entre angoisse et fascination.
Tout se joue dans l’ambiguïté. Quand Francis serre la gorge de Tom, il est aussi tout près à l'embrasser, c'est,du moins, ce que la caméra suggère par ses plans rapprochés. Tout cela s'enlise, c'est une course infernal, où tout étouffe, où les révélations effraient tout en aimantant Tom à ce lieu où rôde la mort (dès qu'un veau nait et porte un nom qui lui rend "hommage" de manière perverse, il meurt). Et la vie aussi, qui s'entend dans la musique d'abord, véritable déclencheur des scènes, accompagnateur salvateur (Dolan dit lui-même écrire à partir d'une musique) mais aussi dans des plans qui réunissent les personnages. Parce que ce sont, comme toujours, des postures, des objets, des regards, des parcelles du corps que capte Dolan.
Il construit ses plans, s'envole avec sa caméra, écoute cette vérité que Tom voit dans la campagne (le réel opposé à son mensonge) s'infiltre dans la plus grande obscurité. Et, il donne toujours dans l'art du conflit car c'est le moteur de ses films. Mettre deux corps en présence, et les laisser s'apprivoiser, se dominer, se rejeter, se pleurer. Récemment, Édouard Louis racontait la fuite d'un milieu qui l'étouffait. Voilà qu'avec Tom, Dolan y reste, s'y complaît presque, comme en plein syndrome de Stockholm, c'est dans un tango (magnifiquement mis en scène), que les regards comprennent toute la puissance du lien qui les unis, même s'il est factice et brutal. Tout l'enjeu de cette mère surtout pour laquelle on entretient la violence, une mère pas si naïve qu'il n'y parait. Aussi ambiguë que le reste. Dans ce tango tout se joue: la présence fantomatique du frère, l’ambiguïté permanente qui lie les deux personnages, et la beauté de cet impossible dialogue, parce que, comme le dit si bien Dolan "l'intolérance mène à la violence", même alors que ce que l'on rejette nous attire. Une descente aux enfers qui devient grace sous la caméra d'un Dolan toujours aussi créatif, passionnant et entêtant. Parce qu'il créer presque tout, et sait maintenir une ambiance par quelques images, une musique et des personnages qui nous entraînent avec eux toujours plus loin...