En attendant son cinquième film, Mommy, qui sera présenté à Cannes en sélection officielle et renouera avec le thème des relations mère-fils, déjà abordé dans l’œuvre inaugurale J’ai tué ma mère (2009), Xavier Dolan, le jeune prodige québécois, autoproclamé et largement relayé par la critique, est actuellement à l’affiche avec son premier film de genre : Tom à la ferme. Derrière ce titre puéril, rappelant les séries destinées à la jeunesse façon Martine à … se cache un inquiétant thriller psychanalytique où il est question de deuil, de transfert et de triangulation des affects entre une mère éplorée par la mort de son cadet, le frère ainé et l’amant du disparu, venu de Montréal assisté aux funérailles. Dans cette ferme nichée au cœur d’une région reculée et inhospitalière, Tom, l’amant foudroyé par le chagrin, comprend vite que Agatha la mère n’était pas au courant de l’homosexualité de son fils et tombe peu à peu sous l’emprise de Francis, le frère violent et brutal.
Le processus de transfert opère donc à plein : Agatha sur Tom comme substitut du fils adulé, Francis sur Tom comme tentative de comprendre l’histoire de son jeune frère et, enfin, Tom sur Francis, frappé par sa ressemblance physique et vocale. Le travail de deuil peut ainsi passer par l’acceptation de la soumission et de la violence consentie par Tom face à Francis, imprévisible, tour à tour excessivement brutal et dangereusement charmeur. Cinéaste des références et du recyclage (Wong Kar-Wai avait largement inspiré l’esthétique des Amours Imaginaires), Xavier Dolan ne se cache pas ici d’être influencé par la grammaire hitchcockienne. Cela passe ironiquement par la blondeur de la tignasse frisée de Tom, mais plus directement par les scènes de la douche (Psychose) et de la poursuite dans les champs de maïs (La Mort aux trousses). Néanmoins, le réalisateur de Laurence Anyways échoue à réellement installer un climat angoissant qui semble s’adoucir par l’absurdité à la lisière du comique de certaines séquences (le tango dans la grange). Xavier Dolan avance dans ses intentions avoir voulu faire un film sur la violence engendrée par l’intolérance, mais il apparait qu’à la place du sectarisme de Francis et d’Agatha, ce sont davantage le dérangement ou le déséquilibre confinant à la folie qui les caractérisent. La mère (l’actrice Lise Roy qui offre une cocasse similitude de traits avec la patronne du FMI) a des accès de rage entrecoupés de fous rires démoniaques, tandis que Francis (le mâle sexué Pierre-Yves Cardinal) se comporte d’abord comme un homo refoulé plus qu’en homophobe. Ou du moins le percevons-nous de la sorte tant le réalisateur le fantasme comme un sujet de transposition.
Il n’empêche que ce thriller chez les bouseux prête davantage à rire qu’à frémir – ce à quoi contribuent les expressions et l’accent québécois, mais surtout le refus du réalisateur à aller jusqu’au bout de son dispositif qui s’étiole au fur et à mesure. La patte maniériste et appuyée de l’auteur s’est lourdement posée sur ce polar superficiellement malsain et la cohabitation du lyrisme pop avec la noirceur inhérente au genre n’est guère harmonieuse ni accomplie. Ce n’est que dans sa résolution (avec une scène dans un bar qui cristallise enfin l’angoisse et laisse entrevoir des horizons autrement plus pervers) que Tom à la ferme parvient à atteindre son objectif. Hélas bien trop tard.