Humidité, lait, boue, sang, bave... Comme ces nombreux films aux finaux incertains le dernier Xavier Dolan nous largue la bouche ouverte et entourés d'un épais brouillard. Perdus, isolés, troublés. Nous sommes des Tom, l'esprit aussi confus, aussi perdus et aussi bafoués.
Après une trilogie bien plus portée sur l'amour, Dolan délaisse ses nombreux effets cinématographiques habituels (et virtuoses) pour une sobriété très habillée. En effet, paradoxalement au milieu rural et boueux où la caméra du jeune québécois s'est posée, ses plans d'ordinaires vifs et langoureux sont ici d'une élégance et d'une sagesse rare. Choix surprenant de sa part mais fort heureusement très approprié au sujet de son long métrage.
Paradoxe encore lorsque l'on découvre que le film suinte de sensualité. Malgré le revêtement volontairement sobre et un montage aussi tranchant que les champs de maïs d'octobre, le jeu est trouble. Trouble. Un mot, un seul. Littéralement parfait pour envelopper cette réalisation dans son intégralité. Tom, Francis, relation de regards, de haine, d'amour, de brutalité, de non-dits, de partages, de peur, d'attraction...
Bref, un syndrome de Stockholm à l'étrange beauté et à la violence incomprise. Le tout atteint son apogée au court d'une scène de danse, un tango inattendu mais merveilleusement bienvenu. Couple masculin dont l'élégance et la subtilité contrecarrent vivement avec la ruralité omniprésente. Court mais puissant ralenti sur d'hideuses boucles blondes amoureuses, corps à corps séparé par tant de choses et si proche pourtant. Opposés encore et toujours, c'est bel et bien la maille la plus fondatrice ici.
Le jeune cinéaste et ses mains en or accouchent d'une photographie somptueusement terne, aux couleurs appauvries et tristes à pleurer dont même le jaune le plus pur se trouve altéré.
Saluer le suspens instauré est également indispensable. Le jeune Xavier n'est certainement pas Hitch', mais du haut de ses vingt cinq années le chapeau doit être tiré. Une angoisse excellemment dosée, qui nous fait palpiter le palpitant jusqu'aux dernières secondes.
On regrettera malheureusement le retour d'un autocentrisme forcené qui semblait avoir prit congé pour Laurence Anyways. A coup de gros plans sur son faciès, Dolan se met en scène et rattrape sa frustration de ne pas avoir pu le faire lors de son précédent film. On lui pardonne.
On lui pardonne cependant moins de ne pas éclaircir plus son propos, trop de trouble reste trouble, et de parfois générer la facilité ou le trop attendu (la station service finale).
S'ajoute à ces quelques défauts un petit bémol musical. Si la partition est tout à fait louable, elle lui arrive de ne pas toujours être utilisée à bon escient et de venir souligner avec trop d'insistance certains instants émotionnels.
Malgré cela, Tom à la Ferme est un bon film, un très bon film au cours duquel notre jeune québécois nous prouve sa prise de maturité une seconde fois. Bienheureux talentueux, on te remercie.