Lara Soft
Les adaptations de jeux vidéo font rarement bonne figure au cinéma, décevant les attentes des joueurs sans convaincre en contrepartie les cinéphiles. Tomb Raider s’était déjà cassé les dents il y a...
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le 21 mars 2018
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Les adaptations de jeux vidéo font rarement bonne figure au cinéma, décevant les attentes des joueurs sans convaincre en contrepartie les cinéphiles. Tomb Raider s’était déjà cassé les dents il y a plus de quinze ans ; mais en s’inspirant cette fois-ci d’un jeu ayant fait l’unanimité en 2013, Roar Uthaug disposait d’un matériau solide qui méritait d’être bien mieux exploité.
Tomb Raider n’est pas un mauvais film, mais un blockbuster terriblement banal et insipide. Si la comparaison avec le jeu vidéo est inévitable, c’est que ce dernier avait tout pour être porté avec originalité sur grand écran : narration cinématographique, passages cultes et iconiques, dimension fantastique mise en scène avec maestria, casting haut en couleurs et personnages rafraîchissants. On le sait, une adaptation de deux heures d’un jeu qui en dure une dizaine se doit de faire des choix, d’omettre certains aspects de l’histoire au profit d’autres sans doute plus efficaces, et d’aller droit au but. Il faut l’accepter : si l’on veut retrouver la consistance du jeu d’origine, autant y (re)jouer. Ceci étant dit, ce Tomb Raider semble ne faire que des mauvais choix, en sacrifiant des points fondamentaux qui faisaient la réussite de jeu au profit d’un cahier des charges typique du blockbuster de commande, sans âme, sans prise de risque ni recherche. Il n’en est pas désagréable pour autant.
Côté casting, les acteurs comme les personnages sont très inégaux. Alicia Vikander est parfaite, rien à dire, elle incarne son personnage avec brio et le porte même à bout de bras dans cet océan de personnages insignifiants et creux. Car les antagonistes sont vraiment « méchants », sans aucune nuance (comment être aussi rationnel et obstiné après sept ans passés seul sur une île déserte ?), et de même les « gentils » sont trop monolithiques et bien intentionnés pour être crédibles. Là encore, dans le jeu, les personnages étaient beaucoup plus ambigus car animés d’une part obscure très humaine au regard du contexte, donnant lieu à des tensions, des mensonges, des trahisons qui participaient à les rendre plus complexes et profonds. D’ailleurs, le choix de ne pas reprendre les protagonistes du jeu est une grave erreur, car c’est leur relation parfois conflictuelle qui permettait le développement de la psychologie de Lara, ici totalement négligée sinon traitée de manière très superficielle (car hormis la relation – ratée – qu’elle entretient avec son père, on ne sait pas grand chose d’elle, de ses goûts ou de son caractère). Une simplification malheureuse qui permet une économie de personnages et d’acteurs mais de ce fait entraîne aussi une économie de charisme, d’attachement et d’implication du spectateur.
Autre point contrasté : la volonté de faire de Lara Croft une nouvelle icône féminine. Évidemment, on sent l’influence de Wonder Woman (2017) avec cette Lara forte et désexualisée par rapport à ce qu’elle était à l’origine : d’héroïne d’un jeu qui passerait aujourd’hui pour sexiste, Lara devient presque tout l’inverse, à savoir une figure féministe. Le problème, c’est que cette thématique très actuelle dans notre société, que le cinéma est le premier média à mettre en avant (et c’est fort bien venu !), occulte totalement les véritables thèmes de Tomb Raider qui sont avant tout l’aventure et le rapport au fantastique.
Ce qui est peut-être le plus gros défaut du film réside dans la relation entre Lara et son père. Cette relation, à l’origine de sa décision de partir à l’aventure, est la pierre angulaire de son caractère et de ses ambitions (exactement comme le meurtre des parents de Bruce Wayne est déterminant pour Batman). Les flashbacks, enregistrements vidéos ou lettres laissées par son père étaient une bonne façon d’expliquer au spectateur ô combien cette figure paternelle compte pour Lara. Mais toute cette construction tombe à l’eau dès lors qu’elle le retrouve sur l’île, puisque cette relation d’admiration reposait sur l’absence totale du père : il était d’autant plus présent dans son esprit qu’il était absent physiquement pour elle. Les faire se retrouver, c’est briser la mythification du père, ce modèle vers lequel Lara espère tendre. Il est une figure quasi-divine de guide pour elle, déifié, et le voir aussi misérable quand elle le retrouve, reclus dans une grotte et presque fou tel un Robinson Crusoé, c’est déconstruire la légende qu’elle s’est forgée autour de lui. Ainsi, de la même manière, sa mort finale ramène cet homme à sa condition humaine de simple mortel, là où le doute quant à sa disparition, ce faible espoir qu’il soit toujours en vie quelque part, telle une ombre planant au-dessus de sa fille, lui donnait une forme de grandeur et d’immortalité en tant que figure paternelle universelle. Un beau gâchis de ce côté là.
Malgré une frustration légitime lorsqu’on connaît la richesse du jeu de 2013, il faut reconnaître à ce Tomb Raider certaines qualités là où on ne l’attendait pas forcément. La bande-originale, sans être mémorable, est pour le moins efficace et accompagne correctement les scènes d’action comme de tension, quant à elles bien inégales (on retiendra une scène d’infiltration en plan-séquence dans le camp ennemi plutôt réussie, à défaut de combats et de chorégraphies inspirés). Les séquences de résolution d’énigmes sont assez appréciables, bien que vite expédiées, et rendent hommage à « l’esprit Tomb Raider » originel qui manquait même au jeu de référence, qui avait essuyé quelques critiques à ce sujet. Même si les puzzles et les pièges n’ont rien de très inventif, ils ont le mérite d’exister et d’être plutôt bien réalisés.
Néanmoins, l’élément le plus intéressant est le traitement du corps de Lara, mené à mal, blessé, éprouvé. C’était là la principale nouveauté du jeu de 2013 que l’on ne peut qu’apprécier voir conservée dans cette adaptation, à l’heure des blockbusters où la violence brutale est cachée au maximum pour ne pas choquer le spectateur et toucher un public le plus large possible. Voir Lara souffrir de la sorte est donc un parti pris fort, un élément clé que les producteurs ont eu la bonne idée d’utiliser. Mais dans ce cas, quitte à jouer la carte de la violence – pari risqué mais louable –, pourquoi s’arrêter en chemin et délaisser presque entièrement l’aspect surnaturel du jeu, qui donnait lieu à des scènes sanglantes, dérangeantes mais de ce fait extrêmement marquantes ?
La dimension fantastique est vraiment mal traitée et expliquée. Si le surnaturel est souvent évoqué dans les dialogues, on ne comprend pas bien ni les motivations de la Trinité, ni celles du père, ni celle de la reine Himiko et de son peuple dont les rituels malsains sont passés sous silence. Car finalement, c’est comme si rien n’avait avancé entre le début et la fin du film, puisque les personnages repartent de l’île sans rien avoir de plus qu’à leur arrivée, si ce n’est d’avoir détruit un squelette dont la magie maléfique était de toute façon inconnue du monde extérieur. Les scénaristes ont écarté la malédiction fondamentale du jeu qui voulait qu’on puisse arriver sur l’île mais ne plus en partir, être comme enfermé par l’île qui faisait se déchaîner la météo dès lors que l’on cherchait à s’enfuir. Dans le jeu, Himiko est morte mais son âme continuait d’exister et d’insuffler une forme de vitalité à cette île qui devenait ainsi un personnage à part entière, et non un simple décor exotique comme ici. Dans ce film, l’environnement n’a plus rien d’inquiétant, de hanté, et la seule menace se résume aux sbires de la Trinité : les antagonistes surnaturels (les malédictions, les monstres, les armures de samouraïs géants animées) sont délaissés au profit d’ennemis humains et donc moins impressionnants. On perd la transcendance divine et l’atmosphère chaotique du jeu qui amenait un côté survival à l’aventure, pour une histoire finalement très banale car trop ancrée dans le réel.
On a comme l’impression que les producteurs avaient peur, qu’ils ne savaient pas où se placer entre respecter l’atmosphère mature et sombre du jeu et proposer une aventure plus grand public. Ils semblent avoir décidé de mélanger les deux, avec d’un côté la violence physique appréciable mais de l’autre un surnaturel à peine effleuré et des enjeux très humains, trop terres-a-terres, vus et revus et donc sans grande prise de risques. Voilà le problème de cette adaptation : partir d’un modèle qui n’est clairement pas adapté à tous, radical dans ses choix, pour en faire un film sage et « passe-partout », sans originalité aucune. Et quand on voit le succès de Logan l’an dernier, la preuve en est qu’un film qui s’assume de bout en bout dans son parti pris violent est tout sauf synonyme d’échec (commercial comme critique), mais au contraire applaudi devant le formatage actuel des films d’action à gros budget.
Un mot pour terminer sur les visuels du film, gangrenés par les CGI et les fonds verts qui décrédibilisent les scènes d’action : d’une part parce qu’ils ne sont pas toujours très jolis, cassant ainsi l’immersion, et d’autre part parce qu’ils sont trop abusifs et ostentatoires pour rendre les scènes cohérentes ou réalistes. La faute à un budget pas aussi conséquent qu’on pouvait s’y attendre (94 millions de dollars) et des choix visuels tout simplement discutables. On se consolera avec certaines scènes marquantes du jeu toutefois bien retranscrites, mais presque toutes dévoilées dès la bande-annonce…
En définitive, Tomb Raider est un film d’action divertissant malgré tout, porté par un rythme effréné une fois le laborieux prologue passé, une bande-son de qualité et une Alicia Vikander irréprochable. Si ces maigres qualités seront suffisantes pour faire passer un bon moment, elles ne pourront sans doute pas empêcher cette adaptation frileuse et mal écrite de s’avérer plus que dispensable et de sombrer petit à petit dans l’oubli. Malgré un naufrage évité de justesse, et que l’on soit fan ou non des aventures de Lara Croft, on était en droit d’en attendre beaucoup plus pour cette licence vidéoludique légendaire.
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