Depuis les chefs d’œuvre d’Arūnas Zebriūnas (1931-2013) et leurs histoires d’enfants filmées dans un noir et blanc si lumineux et si envoûtant, rares sont les films qui nous parviennent de Lituanie, hormis la filmographie exigeante de Sharūnas Bartas (1964-). Une rareté suffisante pour que l’on soit d’emblée attentif à ce nouvel opus du jeune réalisateur Romas Zabaraūskas (31 mai 1990, Vilnius -), ouvertement engagé auprès de la cause LGBT dès son premier long-métrage en forme d’auto-fiction entraînant les protagonistes dans un road-movie à travers l’Europe, « You can’t escape Lithuania » (2016).


Ici, Romas Zabaraūskas, également scénariste et coproducteur, met en scène Marius (Eimutis Kvosčiauskas), « The Lawyer » du titre anglophone ou l’ « Advokatas » du titre original. Avocat brillant dans un cabinet renommé, celui-ci conduit sa vie avec autant de détachement qu’il exerce son art et multiplie les aventures d’un soir. Il faudra la collision entre sa rencontre, sur internet, avec un jeune prostitué syrien, réfugié en Serbie, Ali (Dogaç Yildiz), et la mort de son père, pour qu’il se montre enfin touché et que son cynisme s’ouvre à une forme de sensibilité. Cette ouverture le conduira jusqu’à Belgrade, où Ali se trouve bloqué dans un camp de réfugiés...


Si la relation qui se noue entre les deux hommes n’est pas sans beauté, le moment de sa naissance souffre d’une certaine maladresse scénaristique et on peut avoir le sentiment, également dans la suite de l’intrigue, que le réalisateur ne prend pas toujours suffisamment le temps de développer l’aspect affectif des situations. D’où un décalage avec le grand soin apporté au travail de l’image, particulièrement léchée, quant à elle : les luminosités rougeoyantes, souvent nocturnes, tranchent avec les bleus diurnes ou urbains, quand un noir et blanc inattendu ne vient pas signaler le caractère idéal d’un bonheur à deux, presque conjugal, en rupture avec un contexte qui ne le favorise pas. Et le rouge infernal qui baigne le visage des deux amants dans l’ultime plan, souligne la transgression délictuelle à laquelle ils se sont livrés et ne semble pas les promettre à une félicité séraphique.


Une œuvre singulière, dont la beauté plastique confine souvent au maniérisme, et qui plaide avec une étrange froideur la cause qu’elle entend défendre.

AnneSchneider
6
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à sa liste Films où il est question de la paternité, frontalement ou latéralement.

Créée

le 18 janv. 2021

Critique lue 551 fois

8 j'aime

Anne Schneider

Écrit par

Critique lue 551 fois

8

D'autres avis sur Tomber pour Ali

Du même critique

Petit Paysan
AnneSchneider
10

Un homme, ses bêtes et le mal

Le rêve inaugural dit tout, présentant le dormeur, Pierre (Swan Arlaud), s'éveillant dans le même espace, mi-étable, mi-chambre, que ses vaches, puis peinant à se frayer un passage entre leurs flancs...

le 17 août 2017

77 j'aime

33

Les Éblouis
AnneSchneider
8

La jeune fille et la secte

Sarah Suco est folle ! C’est du moins ce que l’on pourrait croire lorsque l’on voit la jeune femme débouler dans la salle, à la fin de la projection de son premier long-métrage, les lumières encore...

le 14 nov. 2019

74 j'aime

21

Ceux qui travaillent
AnneSchneider
8

Le travail, « aliénation » ou accomplissement ?

Marx a du moins gagné sur un point : toutes les foules, qu’elles se considèrent ou non comme marxistes, s’entendent à regarder le travail comme une « aliénation ». Les nazis ont achevé de favoriser...

le 26 août 2019

71 j'aime

3