Tomboy pourrait se résumer à sa première très belle séquence. On dirait l’été. Les rayons du soleil transpercent le dessin offert par les branches d’arbres, une sensation de vitesse synonyme de liberté comme d’appréhension de l’impact. Une main tente d’attraper on le croit quelque chose. En fait c’est un enfant qui fait mine de voler, on y voit sa nuque dégagée par des cheveux courts que la vitesse et le vent viennent chambouler. C’est déjà un voyage comme mouvement transitionnel. Premier jeu de dupe opéré puisque nous n’assistons pas à un départ en vacances mais à celui d’un déménagement, ou à celui qui suit le déménagement, qui clôt la transition, qui passe définitivement à l’étape suivante. Il n’est plus question de rupture du quotidien mais de son déplacement. Le déplacement peut aussi être un jeu, pourquoi ne serait-ce réservé à la rupture comme départ en vacances. Ainsi dès le premier instant où l’on voit le père et l’enfant dans le même plan, l’un est sur les genoux de l’autre, fait comme s’il conduisait et tous deux rient beaucoup. L’aspect ludique a dépassé le stade théorique, il s’est immiscé dans le récit.
Puis c’est au détour d’une rencontre que ce jeu se poursuit. L’enfant suit un groupe d’enfants de son âge et fait la connaissance de Lisa qui choisit d’elle-même l’identité – le sexe – de son voisin : « T’es nouveau ? Comment tu t’appelles ? ». Nous n’avions jusqu’ici, spectateurs, aucun moyen de répondre à cette question. Un petit garçon, une petite fille, qu’importe. Nous venions d’assister à une intimité familiale qui dépassait la simple pensée de ce questionnement puisque Céline Sciamma s’était bien gardée de mettre complètement en avant ce personnage, préférant filmer le foyer comme entité avant tout et non dans ses individualités. Et peut-être par simple convention du regard nous étions nous fait à l’idée que cet enfant était un garçon, difficile d’en être certain une fois le pot aux roses dévoilé. Lorsque l’enfant prétend s’appeler Michaël nous ne décelons rien, c’est uniquement quelques séquences plus tard, lors du bain que nous découvrons sa nudité et que l’on entend son prénom via l’appel de sa mère que Michaël est en fait Laure, une fille. Le jeu de dupes se poursuit donc et le film a le mérite de nous mettre face à nos préjugés.
Ce jeu dans lequel Laure s’est engagée, un peu malgré elle, ou plutôt par un hasard opportuniste, provoque un grand mensonge et une série de petits subterfuges pour ne pas se faire prendre, qui devient, parallèlement à la tension qu’impose cette réalité inéluctable d’un imminent retour à l’ordre, quelque chose d’hyper ludique, aérien et sensuel. Ce mensonge bouscule l’apprivoisement de la jeune fille par le groupe, majoritairement composé de garçons (accès plus aisé dans le jeu comme le football qui laisse définitivement et malgré elle Lisa sur la touche) et fait état d’une relation qui n’aurait jamais eu lieu sans la tenue de ce secret, à savoir la petite étincelle amoureuse naissante entre Laure et Lisa. Ce que Céline Sciamma réussit donc le mieux dans Tomboy ce sont ces instants pris à la volée comme autant de morceaux magiques qu’offre cet âge des possibles. Moments délicieux passés en compagnie de ses nouveaux amis (action/vérité, partie de football, jeu du béret, baignade…) ou auprès de ses parents (la conduite d’une voiture, un jeu de sept familles, un simple repas…) voire de sa petite sœur (la séance de coiffure, le qui-est-ce improvisé, l’autoportrait, le cache-cache…).
Naissances des pieuvres, le précédent film de la cinéaste, parlaient d’émois adolescents mais de façon beaucoup plus cruel comme si Céline Sciamma avait voulu régler ses comptes avec l’adolescence, expier cet âge douloureux – elle le confirmera dans l’entretien qu’elle a donné post Tomboy au cinéma Les Toiles de St Gratien. C’était un film terrible, aussi terrible que le regard caméra final. Tomboy en est l’extrême contrepoint. Car il offre au-delà de cette évasion mensongère une atmosphère plus agréable, plus solaire. C’est un film d’espoir à l’image de sa fin, au pied de cet arbre, où vérité mise à nue, deux regards se croisent, deux sourires sont échangés, parce que cela vaut bien davantage que les mots.