"Mickaël. Je m'appelle Mickaël."
Des portes. Toujours des portes. Incroyable objet cinématographique, porteur de symboles parlants et assez simple à déchiffrer. Dans "Tomboy", il y en a. Beaucoup. Qui reflètent parfois, classiquement, le passage, des moments forts du film et de l'évolution tant de l'histoire que du personnage principal, la jeune Laure, le jeune Mickaël. Mais elles peuvent aussi porter la rupture, la séparation entre deux mondes : celui des adultes (qui parlent derrière), celui des enfants (qui essaient d'écouter en ayant un peu peur de ce qu'ils pourraient entendre).
L'extérieur, symbole de la liberté trouvée par Laure dans ce changement d'identité. C'est dehors, que ce soit dans la forêt (avec quelques très belles scènes, notamment celle où elle retire sa jupe pour retrouver cette liberté alors que la caméra vogue sur les feuilles) ou sur le terrain de foot, que Laure parvient à devenir Mickaël. Pas totalement, il y a des gênes, des interrogations, de la crainte, mais quand elle parvient à s'en détacher, elle devient pleinement elle-même. Tandis qu'à l'intérieur, elle vit prisonnière d'elle-même et doit rester Laure. Pas que ses parents ou sa vie l'y contraigne, au contraire, il semble y avoir une certaine tolérance face à la situation, de la compréhension et non de l'affrontement, même si ça n'est pas toujours facile.
Ce qui gêne, ce n'est pas tant que Laure soit un "tomboy", c'est le mensonge qui place les autres dans des situations délicates. Mais ce mensonge semble nécessaire. Pas tant pour l'intégration au groupe de copains que se fait Mickaël, qui semble accepter le sexe féminin sans rechigner, que pour se sentir à l'aise soi-même pouvoir se comporter librement, retirer son t-shirt et s'affranchir des contraintes imposées aux jeunes filles de son âge, approchant de la puberté. Mensonge qui libère, mais aussi mensonge qui angoisse, à travers des situations délicates qui surviennent à partir du moment où le contact avec autrui et donc le regard d'autrui existe. Et quand le mensonge est découvert, l'humiliation infligée par "les copains" est sans doute autant le reflet d'une traîtrise perçue qu'un rejet de la différence.
Les sujets du films sont nombreux et complexes. Affirmation de soi. Intégration d'un groupe après un "déracinement". Relations entre sœurs, dans la famille, dans un groupe de pairs. Difficultés pour accepter le sexe sous lequel on est né, mais aussi difficultés pour s'en détacher et l'assumer. Subir des pressions tant extérieures qu'intérieures. Découvrir l'amour, le baiser. Et j'en oublie sans doute. Malgré cette prolifération, le film dure moins d'une heure et demi. Et en si peu de temps, les thèmes sont traités avec un grand talent, avec une réelle profondeur, bien mieux que des films qui durent des heures en restant superficiels. Un air de Bergman, qui lui aussi, en peu de temps, parvenait à atteindre le fond d'une pensée.
Tout en allant réellement au fond des choses, Céline Sciamma ne propose pas de réponse, de vision manichéenne. Une réelle pudeur se dégage de l'ensemble. Les choses sont posées, menées de main de maître, mais nullement imposées comme des vérités. Il y a, malgré la lourdeur des thèmes, une certaine légèreté qui se dégage dans la forme, aérienne. "Tomboy" fait partie de ces rares films où fond, forme, interprétation, direction, dialogues donnent un ensemble cohérent, où chaque paramètre se nourrit des autres pour atteindre une homogénéité qualitative incroyable, un film fin, tendre, plein de pudeur. Les moments de vie respirent l'éphémère là où les questions de fond demeurent.
Il faut bien sûr évoquer l'interprétation des personnages. Si les adultes, personnages secondaires (mais essentiels) ne se démarquent pas, les enfants, eux, sont remarquables. Zoé Héran, bien sûr, mais pas seulement. Il reflètent à merveille la vie portée par le film. Doit se mélanger une direction d'acteurs remarquable de la part de Céline Sciamma et une forme d'innocence de la part de ces enfants, à la fois réalistes et pleinement cinématographiques, dans leurs paroles, leurs mouvements, leurs regards. La vision de l'enfance ici proposée est certes une période difficile, dont il ne faut pas minimiser les interrogations, mais aussi et peut-être surtout une enfance solaire, qui vit.
Alors face à une telle réussite, on pardonnera aisément les quelques maladresses de dialogue, parfois un peu téléphonés. Je pense notamment à la dernière scène, qui se détache et semble trop "construite" là où le reste du film paraît plus libre.
Libre, c'est finalement ce mot qui revient le plus dans cette critique, et je crois qu'il caractérise à merveille, quoiqu'un peu facilement, cette perle qu'est "Tomboy".