Le cinéma allemand ne fait pas beaucoup parler de lui, mais quand il s'y met,ça vaut le déplacement. Toni Erdmann est un film pluriel qui passe du rire à l'émotion, et qui par ce point de départ de relation père-fille contrarié réussit à embrasser plusieurs niveaux de lectures. Le titre du film rend hommage à un père de famille,Winfried, insatisfait de sa relation avec sa fille Inès qu'il voit épisodiquement car elle travaille pour une multinationale à Bucarest. Sur un coup de tête, il décide d'aller lui rendre visite en Roumanie pour essayer de discuter avec elle, ce qu'ils n'ont pas fait depuis longtemps à vrai dire. L'amorce paraît simple mais comme les choses vont se gâter entre Inès et Winfried, ce dernier va être obligé de trouver un subterfuge pour renouer avec elle. C'est à ce moment que le film rentre dans une nouvelle dimension.En imposant une autre identité à sa fille, Winfried l'entraînera dans un jeu qu'elle subira au début avant de réagir avec des ressources (elle est quand même liquideuse de boîtes à plein temps). Cette suite de situations cocasses,impromptues et dingues provoquent chez le spectateur le rire jaune et l'embarras mais leurs apports réels seront à la fois une remise en question pour père et fille.
A l'heure actuelle, un film sans concessions comme Toni Erdmann fait beaucoup de bien car il pointe du doigt nos dérives filiales tout en montrant les ravages de la mondialisation à l'échelle d'un pays de l'Est. L'opposition entre Winfried et Inès statue sur le décalage des valeurs entre leurs écarts de générations. Et malgré tout, cette conscience de leurs différences d'appréhension du monde à la même époque les grandira l'un comme l'autre. Inès, en retrouvant sa relation avec son père, sortira de l'épisode roumain beaucoup plus forte. La dernière image du film sans grand discours est d'une justesse absolue. Et Winfried en ayant reconvoqué sa filiation sera fier de s'être entêté dans ses élans.
Du côté social, on peut se demander pourquoi le jury du Festival de Cannes n'ait pas voulu donner un prix à un film si vrai qu'il en est dérangeant. Pourtant La réalisatrice Maren Ade n'a fait que décrire avec précision une globalisation qui fait des dégâts dans les hautes et basses sphères de la société européenne ( cf le cas de l'externalisation que doit régler Inès et sa boîte et ce pauvre ouvrier de raffinerie roumain, qui en négligeant les consignes se voit promettre son renvoi pur et simple). Des situations où l'homme est interchangeable et où le sentiment est proscrit. Peut on accuser Maren Ade d'avoir fait du Ken Loach? Certainement pas.Or si on récompensait le réalisateur anglais cette année,Toni Erdmann se retrouvait à la trappe du palmarès car des convergences entre les deux films. La suite, tout le monde la connaît.
Pour finir, un petit clin d'oeil à l'affiche énigmatique de Toni Erdmann qui m'a donné envie de voir le film et la raison de ce moment particulier entre ce "yéti" et cette jeune femme blonde. Une très jolie scène. Que la relative grande durée du film ne vous dérange pas car on ne voit pas le temps passer tellement Toni Erdmann surprend, désarçonne et émeut pour prouver que le genre humain a encore assez de ressources pour surmonter les impasses apparentes sur son chemin.