Depuis sa présentation à Cannes et le choc pris pleine face un peu par hasard il y a quelques années avec Everyone else, c'est peu de dire que j'attendais le nouveau film de Maren Ade Toni Erdmann comme le messie de cette année cinéma. Et comme souvent dans ces cas-là, j'ai ressenti une légère déception en sortant rattrapée heureusement quelques jours après par les immenses qualités du film.
En le resserrant sur une demi heure de moins : exit la scène des menottes par exemple qui est redondante avec le reste ou la scène de SM peut être trop explicite dans ses intentions, le film aurait été plus beau et plus fou encore, peut être même au delà de Everyone else, le précédent chef d'oeuvre de Maren Ade, qui disséquait d'une manière analogue une relation de couple sous le soleil écrasant de la Sardaigne.
C'est dommage, ces deux moments entre autres font un peu retomber l'énergie dingue du film, son crescendo. Le coeur du film, heureusement, reste intact : cette tragédie qui se noue dans les silences, entre les rires, dans les regards. Je n'arrive pas à comprendre que des critiques sérieuses aient pu écrire : "Un film qui vous rend heureux". Alors que c'est un film mélancolique de bout en bout, bipolaire, qui désamorce et décentre sans cesse les enjeux. Un film qui pose plus de questions, de problèmes qu'il ne tient de discours et de solutions.
Un film traversé de fulgurances :
d'un brunch à poil à une phrase lâchée comme ça au milieu d'une conversation :
"Es tu un être humain ?" demandera le père à sa fille dans un cocktail.
"Ton dentier et ta rape à fromage n'empêcheront pas ta petite fille de sauter par la fenêtre si elle en a envie" lui répondra Ines dans son appartement.
Alors bien sûr, c'est aussi un film très drôle. Décidément cette année de ce côté là, on est gâté entre : Ma Loute ; La Loi de la Jungle & Toni Erdmann. Ici et contrairement aux deux autres, Maren Ade filme sa comédie comme un drame, c'est bien pour ça que son film a un rythme si particulier, fait d'irruptions burlesques entre de longs moments de silence et d'introspection.
L'autre élément primordial de la mise en scène de Maren Ade, ce sont les apparitions et disparitions dans le plan de Winfried, véritables moteurs de la mise en scène, ce qui fait avancer littéralement ou dérailler chaque scène. De sa première apparition hilarante face à un livreur et cette histoire du faux frère jusqu'à sa disparition bouleversante dans le plan final, s'échappant dans le jardin chercher un appareil photo, laissant seule Ines dans le plan. De son apparition géniale au restaurant en Toni Erdmann, un peu plus tard dans le placard d'Ines ou en costume bulgare et à poils au moment du brunch.
Tout le film se noue dans l'espace entre les regards : dans celui bienveillant mais plein de doutes d'un père pour sa fille , dans celui d'une femme d'affaires en haut d'une tour sur un bidonville roumain en contrebas, dans celui méprisant des collègues d'Ines face à Toni Erdmann...
Le regard le plus bouleversant d'entre tous vient finalement assez tôt. Il m'a achevé et c'est pour ça peut être que j'ai plus de mal avec le rythme du film ensuite. C'est cette scène d'ascenseur qui n'en finit plus d'arriver, ça dure une dizaine de secondes tout au plus mais c'est une éternité. On le savait déjà après Everyone else mais Maren Ade est vraiment la grande cinéaste moderne de l'incommunicabilité.