Ce film m'a fait passer par des états lamentables. J'ai ressenti du malaise, de la répugnance, j'ai été terrifié. Pour illustrer mon état pendant la projection, je me souviens avoir dit à un ami à la sortie du cinéma que j'avais trouvé ce film bien plus terrifiant que La Grande Bouffe de Marco Ferreri. Je maintiens cela. L'idée de sortir de la salle pendant la projection m'est passée par la tête.J'ai trouvé certaines scènes intenables, par exemple celle du
rêve de Sarah ou elle tente de faire rire son ex-mari et sa fille avec un humour acheté dans une boutique de farce et attrape.
Ce n'est pas comme ça qu'on fait rire les gens, elle ne sait pas comment faire, elle fait avec ses "moyens", elle est bourgeoise, en quête de contact et de créativité, elle est terrifiante. Cette scène du rêve de Sarah me rappelle celle du dîner dans A.I de Steven Spielberg dans laquelle l'enfant-robot rit hystériquement sans vraiment comprendre pourquoi il rit, un rire réflexe, poussif, malsain. D'un coté, il y a une bourgeoise, de l'autre il y a une IA, les deux sont radicalement autre et à la recherche éperdue d'une identité, d'une place.
La folie montante jusqu'à l'explicite (rires sataniques dans le dernier tiers) passe par des scènes ou le registre est ambigu, pluriel. Je pense notamment à la scène de l'aéroport (ou de la gare, en France, je ne me souviens plus tout à fait) qui oscille entre le burlesque, voire le cartoonesque et le tragique. La quantité des bagages de Sarah est absurde. La distance entre ses attentes et la réalité contextuelle, l'absurdité de ses tentatives de contact sous la forme d'ordres en plusieurs langues ont une portée comique. Malgré cela, le comportement et le visage de Gena Rowland, marqué par l'empreinte du désespoir, puis au fil de la scène, de l'hystérie m'ont vraiment fait ressentir un terrible, inextinguible malaise.
Progressivement, tout semble partir dans une dérive bancale, malade, hystérique. La photographie et le montage du film épousent lentement l'état chaotique, sombre, des êtres qui l'habitent.
Ce film est pour moi un geste total, habité, sans concession. Un cinéma extrêmement puissant à l'instar de Nous ne vieillirons pas ensemble de Pialat.