Heureuse surprise, Torso assume le poids des quatre décennies écoulées ; mieux, c'est un film relativement moderne (surtout par rapport à ses équivalents ou concurrents), aux qualités visuelles étonnantes (à ce titre, Martino tient la comparaison avec la Trilogie Animale d'Argento, pourtant une matrice). Un goût du trivial revendiqué et sublimé ainsi qu'un érotisme très généreux, le tout distillé avec autant d'outrance que de subtilité, voilà qui impose la signature de Sergio Martino. En plus d'un certain classicisme, le cinéaste arbore des manières curieusement raffinées, surtout pour un artisan underground perçu comme tellement agressif et brutal. Il se montre assez virtuose dans sa narration, bien qu'elle soit trouée de passages de vide à cause de redondances brisant l'élan, alors même que le suspense est réel.
Plus particulièrement, l'intérêt majeur de Torso c'est de s'approprier les clichés futurs du slasher, alors que celui-ci n'en est encore qu'à ses balbutiements (et d'ailleurs Halloween n'existe pas). En se délectant d'un tueur rongé par l'angoisse morale devant le libertinage hippie, Martino sculpte un choc des cultures à l'arme blanche assez précoce, surtout dans la forme qu'il soumet (le problème est chez des communautés et des clichés sociétaux, pas chez des individus jalousés ou hais comme dans les premiers giallos). Ce jeu avec la punition des mauvaises mœurs est d'autant plus théâtral que Martino fait partie d'une vague d'auteurs particulièrement désinhibés à l'écran.
A la marge, le film propose une balade dans une cité de caractère, socio-culturellement mixte (occupée par les gardiens de l'élite et bordée par la gouaille populaire ainsi qu'une jeunesse avide et jouisseuse), musée léthargique pour amateurs d'art, d'architecture et d'Histoire (un cadre rêvé pour immiscer la beauté sanglante). Il abandonne progressivement cet arrière-plan pour amener le récit dans un univers plus claustrophobe, confinant dans un château de campagne jusqu'à y dérouler un dernier tiers en guise de jeu de chat et de la souris. C'est aussi là que l'exercice de style trouve ses limites, car lorsqu'il s'agit de déflorer les mystères de l'intrigue et donc essentiellement la genèse borderline d'un tueur pataud et illuminé, Torso perd autant en puissance qu'en magnétisme. Sur le terrain des meurtres et des séquences de traque pure, il est en revanche virtuose – atteignant son climax lors d'une scène dans les bois.
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