I'm gonna get medieval on your ass !
J'étais déjà tombé vite fait sur la chronique de Torture dungeon sur Nanarland, mais mon attention ne s'est vraiment portée sur ce film que lorsqu'un membre a présenté celui-ci sur le forum BDtrash, une mine d'or présentant des scans de BD publiés par Elvifrance, dans un topic nommé "Les films Elvifrance-style".
Le film d'Andy Milligan était le seul que je ne connaissais pas, au milieu de titres très réputés allant de La chair et le sang à Breeders, en passant par Les mémés cannibales.
Je n'y ai toutefois repensé, et eu une envie soudaine de voir le film, que lorsque son affiché était tout simplement présentée au générique de début de "All about evil" (film par ailleurs mauvais).
J'étais loin de me douter que j'aurais tant de mal à le trouver, j'ai passé peut-être une heure dessus, ce qui, à notre époque où l'on a accès à pratiquement tout sur internet, est beaucoup.
Ayant récemment fini Game of thrones et vu Black death, qui m'ont tous deux encouragé à voir plus de fictions médiévales trashs, Torture dungeon était parfait !
J’ai été halluciné dès le premier plan (et dans ce film, "plan" est presque synonyme de "séquence"…), je croyais voir la captation vidéo d’une répétition en pleine nature d’une troupe de théâtre qui joue piètrement la comédie, chaque acteur n’étant nullement aidé par leurs perruques ridicules de type "Beatles" de divers coloris, et leurs costumes vaguement médiévaux aux couleurs criardes. A d’autres moments, Torture dungeon prend l’apparence d’une sex tape des plus disgracieuses, agrémentée d’une musique style fantasy en contrepoint. Le décalage est de toute façon présent depuis le générique, par le caractère enchanteur de la bande sonore qui fait penser à un Disney se déroulant au moyen-âge, ou à n’importe quel film de cape et d’épée, si ce n’est que les noms de l’équipe sont inscrits en lettres ensanglantées.
Mais ce que j’ai pu voir du jeu des "acteurs" dans l’intro n’était rien pas encore le pire. Une milady m’a fait rire lorsqu’elle était en pleurs, et il y a ce bossu qui joue le stress ou l’excitation en soufflant et en trépignant exagérément, comme s’il avait une forte envie de pisser mais devait se retenir. Il y a aussi les personnages de tarés qui se lâchent dans le surjeu, mais c’est encore autre chose…
Les comédiens font ce qu’ils peuvent, ça se voit, à part pour l’un d’eux totalement inexpressif, et c’est quand même bien de chercher à s’investir quand on voit la galère dans laquelle ils sont embarqués.
Il y a tout de même un moment où l’on peut remarquer qu’il y a un travail de direction d’acteur de la part d’Andy Milligan : c’est lorsqu’on insiste sur ce personnage qui se différencie des autres autour de lui en se curant ardemment le nez. Il semblerait que ce soit important, car on le voit sur plusieurs plans à s’adonner à cette activité, et la caméra le suit.
Au moins, il faut reconnaître que le réalisateur et son co-scénariste ont essayé de faire des efforts concernant les dialogues, cherchant à ce que leurs personnages déclament de belles phrases : "truth is like a sunflower, it must thrive in the sun, not in darkness", "everything is easy if you put your mind to it".
Ces réflexions peuvent débarquer dans les dialogues de façon gratuite, comme lorsqu’on lui dit ne pas avoir le temps, le duc de Norwich part dans un discours philosophique sur ce qu’est le temps, etc.
Mais la réplique qui a marqué les spectateurs d’après ce que j’ai vu, c’est "I’m trisexual, yes that’s it, I’ll try anything for pleasure".
On reconnaît là une envie de faire dans le licencieux ; Andy Milligan a dû se dire que le moyen-âge était le contexte parfait, s’imaginant des histoires d’inceste, de tortures, de langues coupées, et de meurtres en pleine nature restant impunis.
Torture dungeon démarre par la décapitation, fort drôle involontairement, soit dit en passant, d’un homme qui entretenait une relation avec sa sœur, qui désormais porte son enfant. Elle jure de se venger du meurtrier de son amant, qui n’est autre que le demi-frère bâtard de ce dernier. Cette promesse de vengeance dont on nous parle ne sera pas tenue, au lieu de ça on va suivre les péripéties de ce demi-frère, le duc de Norwich, qui cherche à tuer tous ceux qui se verront succéder sur le trône à l’homme tué dans l’intro, jusqu’à ce que ce soit lui au pouvoir.
Il demande au Conseil qui est avant lui sur la liste des successeurs, mais ça ne met pas la puce à l’oreille à quiconque.
D’ailleurs on rentre dans la salle du Conseil comme on veut (ça relève presque du "excusez-moi, je peux rentrer ?"), on fait des propositions comme on veut, l’instant d’après on vote pour décider qui va épouser le nouveau seigneur et concevoir un héritier avec lui, en somme on décide du sort du royaume, mais un peu de la même façon qu’on décide d’un plan de classe à l’école primaire.
Norman de Norwich étant stérile, il est obligé de se débrouiller pour que celui actuellement sur le trône ait un enfant pour lui, ainsi lui dégotte-t-il une femme. Le problème que le bonhomme au pouvoir, c’est celui qu’on voyait se curer le nez (pay-off alors !), qui s’avère être un grand attardé mental. Norman est obligé d’être présent la nuit des noces, et de diriger la défloraison !
L’épouse choisie par Norman en aimait un autre, qui a d’ailleurs été assassiné à coup de fourche, mais la femme oublie bien vite cet incident, c’est pas grave, c’est la vie !
Voilà, le traitement des personnages est vraiment mauvais. En milieu de film, on découvre que Norman a une dame pour lui aussi, et visiblement elle est profondément amoureuse de lui ! Je ne sais trop comment c’est possible, tant c’est évident que cet homme est un sociopathe, mais il semblerait que rien n’affecte la lady, quand je l’imaginais fuir en courant comme toute personne censée, elle ne semble pas dérangée. On la convainc aussi assez facilement de participer à un "ménage à trois" avec le duc et son serviteur bossu, après qu’ils aient fait brièvement connaissance en racontant tous deux leur passé terrible ; une façon assez simple de nous en apprendre davantage sur eux.
Je n’ai pas tout compris de l’histoire, il y a des scènes qui m’ont paru ne servir à rien, des débuts de sous-intrigue qui ne mènent nulle part au final, et des moments où je n’ai absolument pas compris ce qui se passait à l’image. Je crois que quelqu’un se fait attaquer par un serpent à un moment (mais on croirait un tentacule), je ne sais pas vraiment qui, ni comment, ni ce qu’il advient ensuite à cette personne… c’était peut-être le bossu, mordu au cou, mais on n’en reparle pas après donc je ne sais pas…
Le manque de compréhension lors de certains plans vient parfois du fait qu’on ne voit rien. Soit parce que c’est trop sombre, soit parce que les gros plans sont tellement rapproches qu’on ne peut plus identifier grand-chose.
Par ailleurs, il y a dans Torture dungeon cette manie de faire des plans très rapprochés des personnages, de sorte que parfois j’ai l’impression que les acteurs sont obligés de se coller les uns aux autres dans un petit espace pour tous apparaître à l’image.
Le cadrage est toujours terrible : recadrages maladroits, personnages au visage coupé par le bord, … à mon avis Milligan n’a dû se permettre de ne faire qu’une prise à chaque fois, ça explique que tant de défauts soient demeurés dans le film. Ce qui est idiot, c’est qu’un cadrage plus large aurait suffi à régler tous les problèmes évoqués, ainsi que de couvrir les déplacements d’acteurs qui sortent du champ... mais j’imagine qu’une autre contrainte était qu’il ne fallait pas montrer trop du décor, résolument cheap. Juste avant le mariage, je crois que les personnages sont réunis sous une arche à structure métallique, sûrement placée dans le jardin d’un des membres de l’équipe.
Mais le pire, c’est lorsque la caméra reste sur place, même si les personnages se lèvent ; on se retrouve alors avec une contreplongée –mal cadrée, bien sûr– avec en arrière-plan un ciel totalement surexposé.
Bon après il y a aussi des problèmes de changement de luminosité ; l’image vire même quelque fois au jaune pisseux.
Et en dehors des défauts techniques, il faut dire que Milligan a simplement des idées bizarres. A chaque fois qu’un personnage décède, la caméra tombe et tourbillonne, comme si celui qui la tenait se roulait par terre !
Le plus surprenant… c’est que la prise de son n’est pas mauvaise. Les dialogues sont toujours audibles. Le problème vient du mixage par contre, où la musique est parfois trop forte par rapport aux paroles, ou se coupe subitement à la fin d’une séquence. On dirait que la bande-son a été choisie au hasard sur un disque de musiques médiévales, et que chaque titre a été attribué à une séquence, sans qu’on se fatigue à ce qu’il y ait une cohérence, ou à ce que le musique soit correctement interrompue.
Ce qui est pas mal aussi, à un moment du film uniquement, c’est ce bruitage fait à la bouche, quand un homme fait tournoyer une chaîne au-dessus de sa tête.
Andy Milligan m’intrigue, surtout en sachant qu’il a toute une carrière bâtie sur des films semblables à celui-ci, et qu’on a carrément écrit un livre sur lui. Je me demande ce qui l’a poussé à faire ce film, qui n’est même pas aussi déviant que je l’avais espéré, ce qui a pu le motiver à s’engager dans un tel projets avec les moyens qu’il avait, et surtout comment il a pu embarquer des gens avec lui.
Pas de châteaux forts, pas de chevaliers en armure, pas vraiment d’armes non plus à part une hallebarde probablement faite de bois peint, Torture dungeon est complètement cheap et c’est fou qu’on ait eu l’ambition faire un film moyenâgeux dans ces conditions.
Il y a des longueurs, c’est pas un nanar où on se marre en permanence, le délire décadent est poussé moins loin que je le pensais pour cette production indépendante d’un réalisateur visiblement barjo (quoique, replacé dans son contexte, c’est pas mal), et pourtant je n’ai à aucun moment accéléré ou sauté des passages, ce que je fais de plus en plus souvent pourtant.
Je ne sais pas, il doit y avoir quelque chose de captivant dans cette médiocrité constante qui s’étire sur 1h20. En fait, ça m’a même envie de me remettre à voir plus de films de bas-étage comme celui-ci, en qualité VHS pourrie.
Je ne sais pas ce qu’il se passe.
EDIT :
Pour se cultiver toujours un peu plus, je mets ces liens utiles :
http://www.bleedingskull.com/features/milligan.html
http://www.nanarland.com/Chroniques/Main.php?id_film=torturedungeon
Comme je l'espérais, la chronique de nanarland apporte des anecdotes intéressantes ; l'auteur a dû lire le livre sur Milligan.
L'acteur inexpressif dont je parlais jouerait dans le film parce qu'il a prêté un cheval pour le tournage.
A la fin de la chronique, on en apprend sur la maltraitance du bossu, et sur le financement du film.
A la lecture, j'ai repensé à deux choses qui m'étaient venus à l'esprit :
-"son actrice (mais était-ce bien une femme ? On se pose sérieusement la question)" : c'est très vrai, je me suis demandé la même chose au départ.
-Et je me suis rappelé que Norman de Norwich m'a fait penser à Zappa, surtout qu'à un moment il dit d'une chose que c'est la "mother of inventions".