Le cinéma documentaire est un continent à part dans le 7ème art, qui mérite qu’on y fasse des incursions fréquentes pour en mesurer l’étendue et le potentiel. Après les belles découvertes que furent Grizzly Man et Le Sel de la Terre, place à une tentative française. Christian Rouaud revient ici sur la décennie soixante-dix où un collectif de paysans lutta pour préserver ses terres sur le plateau du Larzac, menacés d’expropriation par un vaste projet d’extension d’une base militaire, écho d’un âge d’or au combat mené aujourd’hui contre le projet d’aéroport de Notre Dame des Landes.
Le principe est élémentaire, et n’excite pas forcément a priori : images d’archives et témoignage d’une dizaine de protagonistes, 40 ans après les faits.
Rouaud ne s’en cache pas : il est clairement du côté des militants ; avec une véritable tendresse, il dresse la cartographie foisonnante de tout ce qui fait la contestation de l’époque, des Mao à l’extrême droite en passant par les hippies et les non violents : perdus au milieu de ces mouvances, les agriculteurs doivent malgré eux définir une ligne, en bon cathos de droite devenus des renégats.
C’est sur cette tonalité que le film remporte sa première victoire : celle d’un regard ému et souvent amusé sur ces années de lutte par ceux qui l’ont vécue, et les souvenirs du grand jeu que furent les diverses actions pour se faire entendre, entre les brebis sous la Tour Eiffel et l’encerclement agricole des militaires. A mesure que le film progresse, le spectateur fait connaissance avec les protagonistes, et Rouaud parvient à nous les rendre particulièrement attachants et familiers.
C’est aussi dans l’art du montage que tout se joue : les archives sont exploitées avec un sens aigu du récit, une dynamique qui lorgne du côté du western, permettant une immersion dans une période bouillonnante, où l’on va voler des documents secrets dans une base militaire, on construit une bergerie, on occupe des fermes abandonnées, on se met en travers des tanks : les deux heures du film passent à toute allure et atteignent un point d’équilibre d’une grande finesse : saluer la solidarité d’un groupe face à l’inertie sourde de l’Etat, le tout grâce à ce qui fait toute l’inventivité du citoyen : la malice, le sourire, et la conviction d’être dans son bon droit.
Subjectivité assumée, construction d’orfèvre, caractérisation des intervenants : ou comment le documentaire à tout compris à la fiction pour donner à voir le réel.
(7.5/10)