Tony Hunter est une vieille gloire du music hall. Un homme du passé. Une pièce de musée. Les temps ont changé, le monde a changé, il faut se tourner vers la jeunesse, la nouveauté, la modernité. Et puisque Mr. Hunter ne s'adapte pas, puisqu'il reste de cet ancien monde, alors on l'abandonne. Certes, les journalistes le reconnaissent encore, mais ils ne viennent plus pour lui, préférant photographier la splendide Ava Gardner.
Une preuve que Tony Hunter est un homme du passé ? Il suffit de le voir au sein de cette fête foraine. Il semble complètement perdu au milieu de toutes ces machines électriques et ses animations, ballotté d'un stand à l'autre, sans contrôler grand chose.
D'ailleurs, pendant une bonne partie du film, Hunter ne contrôlera rien, en effet. Embarqué dans un projet qui aurait pu être sympa, mais avec un metteur en scène "moderne", égocentrique, tape-à-l’œil et finalement assez peu compétent (une sorte de Xavier Dolan du music hall), il se retrouve à partager l'affiche avec une danseuse classique caractérielle et assiste, sans avoir son mot à dire, à la chronique d'un naufrage annoncé.
Réalisé un an après Les Ensorcelés (vous pouvez aussi lire ceci), Tous en scène permet à Minnelli de s'attaquer, une fois de plus, au monde du spectacle. Un monde qu'il aime visiblement, même si ses attaques, pour feutrées qu'elles soient, sont quand même assez brutales. Mais, avec tout la finesse dont était capable cet immense cinéaste (un des plus grands du cinéma américain, ne l'oublions pas), il parvient à faire une critique sans amertume et, sans enfermer les personnages dans un rôle de "méchant" ou de "ridicule", il réunit tout le monde pour un hommage somptueux et émouvant au monde du music hall et du divertissement.
Parce que finalement c'est cela qui importe. Minnelli se fait un plaisir de décrire avec minutie (et ironie parfois) les dessous du music hall, les conflits, les égos, les trucs et astuces, les bricolages parfois, les négociations et tout le reste, pour mieux pouvoir tout balayer le temps des morceaux musicaux. C'est là l'immense force de ce film (parfois un poil trop bavard, et ce serait là son seul minime défaut) : le spectacle efface tout, il surpasse tout, il justifie tout. Le bonheur de voir les numéros dansés et chantés fait oublier tout le reste. Ce n'est pas pour rien si le film se termine par le mot "entertainment".
Les scènes magiques se succèdent. N'en retenir qu'une serait une folie. Il faut impérativement mentionner cette merveilleuse danse entre Fred Astaire et Cyd Charisse à Central Park, danse qui illustre tout le film puisque les deux personnages dépassent leurs rancœurs personnelles pour livrer un moment féérique d'une beauté rarement égalée. Il faut aussi parler de toute cette dernière partie du film, lorsque Hunter reprend les rênes du spectacle. L’enchaînement de moments musicaux est tout simplement exceptionnel (bon sang, je vais bientôt manquer de superlatifs, il est temps que je termine cette critique), avec l'inoubliable trio de bébés.
Et, bien entendu, toute cette longue et merveilleuse séquence de film noir chorégraphié (que l'on peut lire comme un hommage au cinéma également ; lorsqu'il glorifie le monde du spectacle, Minnelli ne pense pas qu'au music hall, et le 7ème art n'est pas en reste). La robe rouge de Cyd Charisse (et ses jambes... ses jambes... nom de Zeus ! quelles jambes !), le costume de Fred Astaire, le cabaret enfumé, la sensualité...
Une fois de plus, Vincente Minnelli nous prouve qu'il est un des génies du cinéma. Et quelle meilleure conclusion que celle du film lui-même :
https://www.youtube.com/watch?v=XAAMqWE2Z24