Histoire d'amour impossible grotesque et attendrissante ; un conte de fées crûment réaliste ! Un acharné de la tolérance y verra une critique de l'hostilité de la société envers les choix autres – il aura raison, sauf d'y voir un parti-pris idéaliste. Ali est calme et robuste – avec l'interprétation pour le moins hiératique du compagnon de Fassbinder (la propension du réal à exhiber son partenaire, de manière ponctuelle mais bien gratuite et insistante, nous signale que cette pratique n'est l'apanage des hétéros, mais bien une tentation 'universelle'), il a autant l'air d'un végétal allumé qu'un humain éteint ! Emmi est ridiculement peu attractive, leur liaison a tout à la fois d'une aberration et d'une caricature, malgré ce qu'elle a en propre et ce qu'elle représente de beau et sincère pour les amants.
La blonde du bar est évidemment plus attirante malgré son usure de vicelarde et il serait déraisonnable de l'exclure, puisqu'elle ne l'est pas du quotidien d'Ali – et si l'amour ne se commande pas et a ses propres lois, que dire alors du désir ? Comment minorer la puissance et la pression d'une émotion voire d'un instinct, alors qu'on admet celle d'un sentiment plus profond, de ceux avec lesquels il est possible de négocier justement car ils sont trop grands et aussi trop fins. Ce film fait le bon choix de ne rien ignorer des contradictions, sans égards pour cette cohérence fausse héritée de la morale de la fidélité ou de la psychologie dévoyée – aussi fort que soit un lien, il ne peut qu'être rudoyé par certaines provocations, à peine soutenable dans certains contextes – surtout quand on est si placide et privé de l'opportunité de punir ou menacer durablement l'entourage comme l'est Ali.
Les amalgames mesquins sont presque toujours fondés – le fils (joué par le réalisateur) offre la seule attitude presque indéfendable, car son orgueil et sa stupidité sont excessifs – tandis que les collègues [de madame – ceux de monsieur sont réduits à ce qu'ils sont probablement, des bourrus] sont sobrement minables et socialement, compensent leur insignifiance par des réflexes de gardiennes, en bonnes prolos arriérées se voulant le plus bourgeoises [les conservateurs en pratique et à niveau d'intérêt objectif égal sont plus souvent des femmes]. Mais comment reprocher autre chose que la violence de la forme et la facilité de la généralisation à certains commentaires odieux, sinon répréhensibles par la loi et la morale d'aujourd'hui – davantage que celles de 1974 ; ces observations idiotes, ces projections dégueulasses, ne sont-elles pas justes dans l'écrasante majorité des cas ? Alors qu'attendre de mieux d'individus dont la seule lumière est l'expérience et la soif de chaleur auprès du groupe, si pauvre et atomisé soit-il lui-même ? Les procès en 'déviance' et lubricité sont regrettables (mais si ordinaires) ; les soupçons de parasitisme, de manipulation mutuelle, les accusations d'irresponsabilité et de caprice, le sont-ils tellement ? Que la haine et la jalousie les motivent est flagrant ; la prudence et le souci sincère de la santé de la vieille (dans une moindre mesure de celle d'Ali) y mèneraient aussi !
Tous sont donc partiellement dans le vrai et résolument bêtes car accrochés à des sentiments ou préjugés – heureusement le bon sens commercial remet chacun dans un chemin sain ou du moins vivable. Il n'y a pas d'accomplissement pour tout et tous, que des compromis et quelques joies ou victoires à arracher. Une telle histoire, toute en excès mais jamais dans le 'mensonge', calquant ses arrangements sur ceux de ses personnages, malgré tout son désespoir manifeste, rend enthousiaste car ce couple tire une force et un supplément d'âme de la fatalité. Les autres, les coups de griffes du quotidien, le poids des devoirs et des aliénations économiques, leurs propres corps et les rappels froids des lois naturelles comme de l'ennui exponentiel, sont autant de moteurs à leur passion de solitaires déterminés à s'adoucir à deux, peu importe le prix, tant qu'ils sentiront qu'ils saisissent une chance unique – en s'acharnant à poursuivre le bonheur ils affirment leur volonté, en le domestiquant ils le sentent échapper et la facture pourtant allégée devient amère.
https://zogarok.wordpress.com