C'est une oeuvre qui repose sur une démarche très autobiographique à savoir la mort accidentelle de l'acteur culte Zbigniew Cybulski avec qui Wajda devait tourner rapidement. Ce dernier se tua en cherchant à grimper dans un train et Wajda, profondément bouleversé, se demanda comment en faire le deuil.
Pour la première fois de sa carrière, il écrivit donc seul un scénario où une équipe de cinéma est paralysé par l'absence d'un comédien qui doit jouer une scène où il se tue en grimpant dans un train. C'est le réalisateur du film qui prend sa place tandis qu'on se demande les heures suivantes où a bien pu passer la vedette. La réponse viendra le lendemain : il s'est tué justement de la même manière que dans le film. Le cinéaste essaye donc de finir son film en questionnant l'absence de son acteur.
Beaucoup d'acteurs de Tout est à vendre joue leur propre rôle dans le film, et certaines images du vrai enterrement de Zbigniew Cybulski sont intégrées le temps d'une séquence. En revanche, Wajda n'a pas poussé le concept jusqu'à jouer lui-même son propre rôle qui est tenu par le comédien Andrzej Lapicki.
Peut-être fallait-il savoir ça avant de se lancer dans le film car sans ces clés de repères, il n'est pas évident de comprendre la finalité d'une œuvre volontairement très décousue et déconstruite pour une approche non narrative. La première partie alterne régulièrement de la fiction filmée au rapports entre les membres de l'équipes pour des glissements plus ou moins visibles. Dans certains cas, l'effet est prévisible (la tentative de suicide) tandis que d'autres sont plus troublants comme lorsque de Beata Tyszkiewicz lance un regard caméra en demandant à une personne hors-champ (ou au réalisateur lui-même) si tout le monde va l'abandonner.
La seconde partie traite de l'égarement des proches du comédiens qui essaient de trouver un sens à sa mort, à son absence et comment y pallier. Là, j'ai vraiment eu l'impression de quelques chose m'échappait comme si Tout est à vendre faisait référence à certains aspects de la vie de Zbigniew Cybulski connu des polonais de l'époque. Quel est par exemple le rôle de cette tasse métallique ? Sans oublier les seconds rôles dont je ne savais pas s'il était de simples créations ou de vrais comédiens dans leurs propres rôles.
Pas évident de rentrer dans le film qui est de toute façon extrêmement fuyant et abstrait avec une démarche très spécifique.
Difficile en revanche de lui enlever son originalité, la radicalité de l'entreprise, une approche très personnelle qui recoupe des préoccupations du cinéaste (la mémoire, le besoin de témoigner) mais sans recouper l'Histoire de son pays. Et quelques séquences sont également assez fortes : l'ouverture avec la chute sur le quai de la gare, la séquence surprenante du manège, les réactions de l'équipe du film après la première projection du film inachevé et la conclusion avec la course des chevaux.
J'ai pu voir le film grâce à un Festival de Film Polonais où Tout est à vendre était précédé de du court-métrage Sur le tournage de Jerzy Ziarnik qui suit Wajda sur quelques scènes de son film. C'est assez passionnant car on le voit vraiment douter à quelques reprises sur le plateau. Cherchant à trouver de l'authenticité à chaque séquence mais ne sachant comment la trouver et la reproduire à l'écran. On le voit aussi, un peu désemparé, se confier à Beata Tyszkiewicz (son épouse à la ville) en lui disant qu'il sent le projet lui glisser des mains, qu'il avait au début du tournage une idée précise du projet avant de se rendre compte jour après jours que son concept lui paraissait de plus en plus flou et insaisissable. Et on peut dire en effet qu'on ressent lors du visionnage du film fini cette difficulté à rendre palpable ce portrait en creux d'un artiste, au cœur de toute les conversations, mais qu'on ne verra jamais comme s'il était déjà trop tard pour comprendre son destin et ce qui le définissait.
Voilà, bien le genre de film qui mérite le qualificatif de "grand film malade".