Premier long métrage de Céline Deveaux, Tout le monde aime Jeanne appartient d’emblée à cette catégorie de film dont l’intrigue ne cherchera pas à se distinguer du lot commun. Le titre peut en cela paraitre bien ironique, tant la protagoniste incarnée par Blanche Gardin, après avoir un temps cru frôler le prix Nobel, se voit noyée dans la masse de l’anonymat, des dettes et des rives agitées de la dépression.
Le voyage mémoriel qu’elle entame dans l’appartement de sa mère décédée, avec tous les bilans qui l’accompagnent, ne sortira pas non plus des sentiers balisés de l’introspection, de l’affrontement cabossé de l’âge adulte et des petits aménagements avec un deuil qui ne passe pas.
C’est peut-être là le plus grand défi qui soit, que de s’emparer d’une matière déjà si traitée par tous les récits de l’humanité, et de la malaxer avec cette conviction farouche d’avoir quelque chose de sensé à y exprimer. La première originalité de Céline Deveaux consiste à illustrer en séquences d’animation le flot de conscience de son héroïne, une créature rudimentaire venant mettre en image les réflexions intimes formulées par la voix off (qui s’avère prise en charge par la réalisatrice elle-même). Passé l’effet de surprise, la distribution de ces ajouts s’avère un temps laborieuse, car la redite est assez fréquente, et la sur-explicitation peu pertinente par rapport à ce qui se joue dans le cadre. Mais l’ensemble finit par trouver son équilibre, et crée une belle complicité avec le spectateur, à qui la créature chevelue se contente de temps à autre d’un regard qui en dit long sur l’insécurité de son hôte.
Dans une Lisbonne aux couleurs pastel magnifiées par la musique de Flavien Berger, les promesses de bon temps semblent en contradiction totale avec la noyade progressive d’une jeune femme paumée dans ses souvenirs, et dénuée de tout avenir. C’est aussi ce contraste qui donne tout son charme à cette odyssée mineure où l’on va à la plage, on écoute les enfants chanter et on peut compter sur un frère qui n’arrive pas pour déballer le linge sale, mais pour aider à ranger l’appartement maternel. Au milieu de cet univers au charme continu, le surgissement du personnage de Laurent Lafitte fait figure d’apothéose. Importun, kleptomane, un peu mythomane, il promène sa singularité avec un aplomb déconcertant, avant de révéler qu’elle est surtout l’affirmation d’une guérison après des expériences psychiatriques délicates. Incarnation poétique de la résilience, Jean est l’antidote de Jeanne, pour peu qu’elle puisse en prendre conscience, ce qui constituera l’un des parcours à entreprendre. Le spectateur n’aura plus qu’à suivre le mouvement, et se laisser, sans résistance, prendre au charme d’un rangement de cuisine consistant à briser les assiettes au sol, d’une famille qui entonne Voici les clés de Gérard Lenorman (après celle des Passagers de la Nuits sur Joe Dassin), et d’une femme qui baisse la garde pour tendre la main.