"Traffic" est l'un de mes films de chevet. Le thème principal (trafic de drogue) y est sans doute pour quelque chose. Cela a souvent donné d'excellents films. En vrac, on peut citer "Scarface" de Brian De Palma ou encore "Blow" de Ted Demme. Néanmoins, sauf erreur de ma part, "Traffic" est unique en son genre puisqu'il aborde le sujet sous toutes les coutures : on va de l'offre jusqu'à la demande en passant par les intermédiaires. Tout est extrêmement fouillé. Pour l'anecdote, le film a d'ailleurs été tourné dans 110 lieux différents en seulement 54 jours !
A travers trois histoires qui s'entrecroisent, ce film choral signé Steven Soderbergh dissèque un fléau social qui touche les États-Unis depuis les années 1970 avec l'arrivée en puissance du Cartel de Medellín : le trafic de cocaïne. Si ce Cartel est aujourd'hui enterré depuis 1993 et la mort de Pablo Escobar, d'autres ont pris la relève et continuent de se remplir les poches. L'aspect intéressant de "Traffic", son point fort par rapport à tous les autres films qui ont abordé le sujet, c'est qu'il traite de cette thématique à plusieurs échelles : politique, social, législatif ou encore familial.
Partie de Washington
A Washington, le juge Robert Wakefield (Michael Douglas) est chargé par le Président des États-Unis de mener une lutte anti-drogue. Parallèlement, sa fille Caroline (Erika Christensen) est une élève modèle mais également une addict à l'héroïne et autres drogues en tout genre.
Partie de San Diego
A San Diego, Helena Ayala (Catherine Zeta-Jones) est la femme d'un riche homme d'affaires. Quand ce dernier est arrêté par la DEA pour trafic de drogue, elle est livrée à elle-même. Elle n'a plus alors d'autre choix que de remettre en question sa bonne éducation pour sauver sa famille. Le temps lui est compté puisque les fédéraux, emmenés par Montel Gordon (Don Cheadle), ont avec eux un témoin qui pourrait faire tomber Mister Ayala.
Partie de Tijuana
A Tijuana au Mexique, Javier Rodriguez (Benicio Del Toro) est un flic banal dont la vie bascule lorsqu'il est approché par un certain Général Salazar (Tomás Milián). Ce dernier lui propose de travailler pour lui afin de faire tomber le Cartel de Tijuana.
Mon analyse
"Traffic" part d'un postulat très simple : le trafic de drogue peut-il être endigué ? C'est à cette question, presque illusoire, que le film tente de répondre à travers nos trois histoires évoquées plus haut. Et si la réponse est connue d'avance, il n'empêche en rien que le film parvient à nous surprendre par la qualité de son récit. Pour ce faire, chaque personnage principal a été très travaillé : la partie avec Michael Douglas fouille extrêmement bien l'aspect destructeur de la drogue et nous montre que tout le monde peut être touché. Pour la petite histoire, Douglas avait une première fois refusé le rôle qui avait alors été confié à Harrison Ford. Après avoir retravaillé le personnage, Ford décide finalement de ne pas faire le film et Douglas donne finalement son accord.
L'histoire avec la Zeta-Jones approfondit notamment le thème de la survie. Faut-il mettre mes idéaux de côté pour sauver ma peau ? Quelles sont mes limites ?
La partie avec Benicio Del Toro explore, quant à elle, l'aspect le plus tragique de la lutte anti-drogue, à savoir l'absence de moyens du gouvernement pour lutter efficacement contre ce fléau (cet aspect trouve son écho dans l'histoire avec Douglas). Le manque d'effectif dans la police et la corruption à tous les niveaux sont largement dénoncés dans ce long-métrage.
Qui dit film choral, dit donc une pléiade d'acteurs. Difficile alors de mettre en avant une performance plutôt qu'une autre. Pourtant dans "Traffic", il y a quatre acteurs qui se démarquent. Tout d'abord, le grand Michael Douglas bien évidemment. On le voit évoluer et changer de mentalité tout le long du film, jusqu'à un discours final plein d'émotions. Il aurait dû être nommé à l'Oscar du meilleur second rôle ... Don Cheadle, dans son rôle de flic intègre trouve ici un rôle intéressant. Venons-en maintenant à Benicio Del Toro, lauréat de l'Oscar du meilleur acteur dans un second rôle. Je l'ai trouvé formidable dans son interprétation. Alors qu'il incarne un personnage qui est sur le terrain, et pas n'importe quel terrain puisqu'il s'agit du Mexique, il ne tombe jamais dans l'impétuosité. Sa performance est sobre et son regard est grave. Enfin, Catherine Zeta-Jones est ici impériale. Plus que les autres acteurs, c'est elle qui ici s'avère la plus émouvante, notamment lors de la scène où elle attend son mari au poste de police, les larmes coulant sur son visage angélique. Pour l'anecdote, l'actrice était tellement passionnée par ce film qu'elle a convaincu Steven Soderbergh de la choisir pour ce rôle et de changer le personnage en femme enceinte puisqu'elle attendait son premier enfant au moment du tournage.
J'aimerais maintenant évoquer la réalisation et cette obsession pour les images qu'a le réalisateur. Beaucoup l'ont noté, "Traffic" a une esthétique unique. Une esthétique qui en a dérangé plus d'un. Pourtant, ces filtres bleu, jaune et rouge ont leur sens. En effet, l'histoire qui se déroule à Washington est filmée avec un filtre bleuté. Pourquoi ? Cette couleur a plusieurs significations : la froideur, le mystère, la sagesse si l'on prend sa connotation positive ou plutôt la passivité si l'on voit les choses de manière négative. Washington, quant à elle, est la capitale des États-Unis. Elle abrite notamment la Maison-Blanche. Emboitées ensemble, on comprend alors mieux les intentions du réalisateur. Idem avec la couleur jaune qui peut signifier le mensonge et la tromperie. Liée à la ville de San Diego et l'histoire qui s'y déroule dans le film, le choix du réalisateur est pertinent. Enfin, pour la ville de Tijuana, c'est un filtre plus rougeâtre qui a été choisi. Le rouge signifie le danger. Ainsi, si on accorde tout ensemble, on s'aperçoit que plus on descend vers le sud, plus on se rapproche du danger et de l'offre. Je ne dis pas pour autant que là où il y a la demande ce n'est pas dangereux, c'est simplement un péril indirect.
Le montage est également un point fort du film, surtout quand on sait que la première version de "Traffic" faisait plus de trois heures. Et même en ayant coupé une bonne partie du film, le résultat final est d'une grande cohérence. Chaque histoire est traitée avec la même équité dans le but premier de servir le développement du récit. C'est ainsi qu'on arrive à la fin du film avec une histoire qui se termine pour chaque personnage mais une fin qui reste malgré tout ouverte. Ne l'oublions pas, la guerre contre la drogue est un combat sans fin !
Chapeau l'artiste !