Œuvre majeure du cinéma polonais, Train de nuit flirte même avec les plus grands films contemporains de son époque, tant grâce à son élégance formelle que par son subtil et toujours très juste langage poétique. En outre, il contient une réflexion politique cachée derrière ce microcosme peuplant le train entretenant des échos avec la face la plus vile du communisme.


Pour présenter les différents personnages qui essaimeront le récit, le réalisateur Jerzy Kawalerowicz se sert d'un magnifique travelling arrière pour accompagner la montée dans le train de Jerzy (Leon Niemczyk ), le protagoniste. Il nous plonge par la même dans l'espace confiné des wagons où les rencontres se feront et se déferont au gré des menus événements ornant ce long voyage. Les prises en plongée et contre-plongées auxquelles Kawalerowick a largement – et à bon escient – recours mettent en scène les rapports de pouvoir entre ces passagers, tous différents les uns des autres, que seul un train pouvait réunir. Le récit, même s'il est principalement centré sur le mystérieux Jerzy aux indéfectibles lunettes de soleil et Marta, qui partage son wagon-couchette, formant un couple que l'attraction/répulsion unit puis désunit, se divise grâce aux histoires personnelles des personnages secondaires, en micro-récits qui forment autant de brèves plongées dans des intériorités révélées à nu dans ce huit-clos où l'intime n'a guère de frontière pour le protéger. Kawalerowick procède donc à un savant va-et-vient entre l'individu et la communauté, entre miroirs et reflets et plans serrés sur le groupe.


Cette mise à distance du récit classique, basé sur une action dense et une richesse d'événements, rapproche Train de Nuit des œuvres de ses contemporains les plus hardis, tels Antonioni ou un certain Resnais. Comme eux, il se rapproche davantage d'un cinéma poétique que narratif, la recherche esthétique se plaçant au centre de leur travail. Ainsi, comme l'indique l’étymologie du mot (α ι ̓ σ θ η τ ι κ ο ́ ς, «qui a la faculté de sentir, de percevoir» ), l'accent est mis sur le sensible: la musique du film, lancinante et douce, mélancolique et rêveuse se prête à merveille aux émotions des voyageurs; les corps qui se frôlent dans les couloirs étroits, se touchent, se caressent, s'embrassent ou se frappent (course-poursuite derrière le criminel); les jeux sur les reflets, les clairs-obscurs, les contrastes (robes de Marta / dos découvert) magnifiés par le noir et blanc; tout cela participant à créer une ambiance, souvent étouffante, où les fenêtres ouvertes sont autant de respiration pour le moi envahi par l'autre.


Ce huit-clos créé une certaine tension, où les pulsions de vie (sexualité) sont contenues alors que celles de mort (le lynchage) s'expriment dans la plus grande normalité et acceptation. Au-delà de l'aspect proprement sociologique de ce petit monde ressemblant à un village polonais, la dimension politique n'est pas inexistante, quoique tapie, derrière ce microcosme dépourvu d'issues, lieu de toutes les rumeurs, commérages et autres échanges d'informations, où la frontière entre l'intime et le collectif est plus que poreuse. Il n'est donc pas sans rappeler le communisme dans sa forme la plus autoritaire, liberticide et répressive que le cinéaste polonais dénonce, d'une manière dissimulée qu'il est aisée de comprendre tant la censure était alors forte.

Marlon_B
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le 30 mai 2017

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Marlon_B

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