Béton armé
Pourquoi ? Pourquoi les films de S. Craig Zahler ne sont-ils pas distribués en France ? Pourquoi sont-ils systématiquement relégués à un direct-to-video, pourquoi n’ont-ils pas droit à une vraie...
Par
le 17 juin 2019
29 j'aime
7
Le site est de retour en ligne. Cependant, nous effectuons encore des tests et il est possible que le site soit instable durant les prochaines heures. 🙏
En France, les meilleurs films de l’année ne sont plus forcément distribués dans les salles. Ce constat honteux se confirme particulièrement en cette année 2019, où les spectateurs hexagonaux devront se contenter de voir sur petit écran des travaux que nous considérons pourtant comme de purs chefs-d’œuvre tels que The Beach Bum (Harmony Korine) ou cet étrange et beau Dragged Across Concrete, qui sort chez nous directement en DVD et Blu-Ray ce 4 août. Soit le dernier bébé d’un cinéaste de plus en plus passionnant n’ayant jamais connu les honneurs des salles françaises, S. Craig Zahler…
C’est en 2015 que nous avons pu découvrir S. Craig Zahler, déjà en VOD ou sur disque, avec l’inégal, passionnant et traumatisant Bone Tomahawk, western contemplatif et horrifique qui, au-delà de ses imperfections, témoignait déjà d’une vision d’auteur profonde faite d’un certain goût du contre-temps, de la lenteur, des dialogues curieusement poétiques, et de la violence la plus crue et la plus gore possible. En 2017, il transformait l’essai, du moins partiellement, avec un film de prison étrange et incroyablement brutal, Section 99, où un Vince Vaughn impérial s’affirmait déjà comme un grand acteur dramatique portant à bout de bras cette odyssée absurde et violente. Si ces deux précédents essais étaient donc déjà guidés, du moins en germe, par une singularité, rien ne pouvait vraiment laisser présager, à mon sens, l’ampleur de la réussite de ce Dragged Across Concrete, qui restera probablement l’un des longs-métrages les plus importants de notre année cinéma. Bien qu’on pourrait comparer Zahler à nombre de cinéastes connus et admirés – Tarantino pour la longueur et les dialogues étendus jusqu’à la rupture, Eastwood pour la tendresse envers les brutes, Peckinpah sur lequel nous reviendrons plus tard – il nous faut donc avant tout insister sur ce qui en fait une voix absolument singulière dans le paysage cinématographique contemporain, et même, soyons fous, dans l’Histoire du cinéma américain.
Dragged Across Concrete raconte d’abord la chute de deux flics fatigués, deux brutes touchantes incarnées par deux acteurs au sommet de leur talent, qui, après avoir été suspendus pour une intervention musclée contre un trafiquant mexicain, décident de sombrer dans la criminalité. A côté de cela, on suit le parcours d’un autre personnage, incarné par Tory Kittles, lui se retrouvant bien malgré lui à participer à un braquage qui s’avérera d’une brutalité inouïe. Évidemment, ces trois-là se retrouveront, parmi d’autres, sur les mêmes terres de violence et au cœur du même traquenard. Sur un argument de série B très premier degré et très simple – fait de flics corrompus et de criminalité bien connue – Zahler tisse finalement un récit choral très complexe, parfaitement arcbouté, se permettant d’étonnantes et sublimes sorties de route. En effet, l’œuvre se distingue par sa durée exceptionnelle – 2h39 – et cela lui permet de parfaitement trouver son rythme. C’était la principale recherche, pas encore parfaitement aboutie, des précédents efforts de Zahler : celle d’un rythme singulier fait d’étirements des séquences suivis d’une irruption brutale de violence. Ici, le cinéaste semble avoir peaufiné son art du contre-temps et de la longueur ce qui se voit particulièrement dans l’épisode impliquant le personnage incarné Jennifer Carpenter, peut-être le plus beau du récit. C’est une jeune femme, incapable de se séparer de son enfant avant de partir travailler, mais que son mari convainc derrière la porte de leur appartement, lui permettant juste de toucher un instant leur bébé. Cette longue séquence étrange et bouleversante témoigne bien de l’audace et de la poésie de l’écriture de Zahler qui en font bien plus qu’un simple et habile artisan de série B, bien qu’il ne fasse que s’envisager comme tel, et c’est tant mieux. Au milieu de son film, il est capable de se concentrer sur un personnage à peine rencontré et de lui donner un destin – même si celui-ci sera sauvagement et cruellement achevé – ainsi que la représentation la plus claire de son constat alarmiste sur la société américaine. Cet art de l’image forte et conceptuelle vient d’une vraie attention de cinéaste à des choses très précises qu’on ne voit plus beaucoup : un regard, une intonation, une légère crispation sur le visage, une manière de manger son sandwich ou de toucher son enfant. Il n’y a pas grand-chose à dire quand nous est montré ainsi le regard bouleversant de Jennifer Carpenter vers son bébé, ou encore plus simplement face à la présence extraordinaire de Mel Gibson tout en violence contenue et d’une infinie tristesse rentrée. La mélancolie qu’il dégage pendant toute la durée du long-métrage – contenant à la fois son histoire légendaire d’acteur et le spleen de son beau personnage brutal et dépassé – nécessiterait un long texte en soi et témoigne du fait qu’il est encore et toujours l’un des plus grands acteurs du monde.
Cet utilisateur l'a également ajouté à ses listes 2019, Classement - Cinéma 2019 et Les meilleurs films de 2019
Créée
le 7 août 2019
Critique lue 323 fois
3 j'aime
1 commentaire
D'autres avis sur Traîné sur le bitume
Pourquoi ? Pourquoi les films de S. Craig Zahler ne sont-ils pas distribués en France ? Pourquoi sont-ils systématiquement relégués à un direct-to-video, pourquoi n’ont-ils pas droit à une vraie...
Par
le 17 juin 2019
29 j'aime
7
Les conditions de visionnage ont sûrement beaucoup influencé mon avis. Il est 8h du matin et j'ai peu dormi. Je m'apprête à voir un film de 2h30 avec deux acteurs que j'apprécie assez peu. Je ne...
le 23 oct. 2018
25 j'aime
5
Nouvel auteur underground émergent, Steven Craig Zahler a su ameuter une bonne petite fanbase grâce à de petits films remarqués, à savoir le western horrifique Bone Tomahawk et le drame carcéral...
le 1 août 2019
18 j'aime
3
Du même critique
Présenté cette année à la Quinzaine des réalisateurs, le nouveau film de Gaspar Noé était sans surprise l’un des événements les plus attendus à Cannes. Presque rien n’avait fuité avant sa...
Par
le 28 mai 2018
32 j'aime
3
Juste au moment où nous désespérions des films de super-héros et de leurs interminables franchises – ce qui ne s’est pas arrangé depuis – M. Night Shyamalan réactivait à la fin de Split (2017) l’idée...
Par
le 10 janv. 2019
32 j'aime
2
Pas de doute, nous n’attendions rien de plus que Megalopolis cette année à Cannes, et nous n’étions pas les seuls. Douze ans après le magnifique Twixt qui achevait une trilogie mal-aimée – pourtant...
Par
le 2 sept. 2024
17 j'aime
3