Plata y Plomo
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Les longues gestations génèrent de grandes attentes, voire de grandes craintes. Triple Frontier alimente les news ciné depuis près de 10 ans : à l’origine un projet de Kathryn Bigelow, son casting a vu passer un nombre improbable de candidats et d’abandons, dont ceux des studios eux-mêmes avant que Netflix ne reprenne la main.
L’intérêt du film tel qu’on le voit aujourd’hui tient cependant à un seul nom : J.C. Chandor, réalisateur dont on demeurait sans nouvelles depuis remarquable A Most Violent Year il a déjà cinq ans, troisième long métrage après les singuliers Margin Call et All Is Lost. Un cinéaste se dessinait dans un certain lien à la lenteur, un rapport assumé au classicisme et un talent dans la conception de personnages complexes.
Autant d’éléments qu’on peine à retrouver de prime abord dans ce format qui a tout de la commande. La team de valeureux barbouzes free-lance s’échafaude au gré d’une exposition laborieuse de laquelle rien ne parvient à véritablement se dégager : ni émotion, ni enjeux, mais une longue bande annonce du gros braquage à venir. Les références à Sicario, à qui on emprunte le décorum sans atteindre l’épaisseur sont presque embarrassantes et l’on se prend à plusieurs reprises à rêver de ce qu’aurait pu faire Bigelow avec un pareil sujet.
C’est là le risque à connaitre la présence d’un réalisateur que l’on estime derrière un projet : chercher des traces de sa patte, c’est questionner l’explicite, et attendre une distance critique, un second discours. Or, celui-ci se fait cruellement attendre dans Triple Frontier : les portraits testostéronés, les clichés préalables (chaque membre a une bonne raison de vouloir se faire un paquet de fric, qui l’eût cru ?) la musique metal dans les hélicos laissent planer plus de crainte que de doute.
Le naufrage est cependant évité à partir du moment où l’on entre dans le vif du sujet : la scène du braquage est une réussite dans la mesure où elle parvient, dès son commencement, à instiller un malaise par l’invisibilité, voire l’indicible : on sait depuis le départ que quelque chose de plus que la simple trame doit se jouer, et des indices insidieux viennent savamment pourrir l’atmosphère. La très belle photo sur cette demeure qui cache bien sa richesse, toute en obscurité bleutée et humide, l’avidité grandissante des protagonistes grippe la mécanique et ouvre un bon quart du film qui va s’avérer tout à fait réjouissant.
La densité attendue va se déplacer sur le magot : trop volumineux, trop lourd, celui-ci dépasse l’entendement et les capacités d’organisation jusqu’alors infaillibles. Le ver est dans fruit, et joue sur le dilemme cruel qui écarquille les yeux en même temps qu’il écartèle l’équipe. La progressive catastrophe donne enfin du sens à l’odyssée qui se transforme en un tragique et onirique itinéraire de délestage, qui pourrait se diriger sur les traces d’un Trésor de la Sierra Madre par son pessimisme acerbe.
Le récit n’ira pas jusqu’à cette audace, et l’on sent les multiples réécritures, voire l’embarras dans lequel il se trouve pour conclure. Alors que les personnages auraient pu réellement tomber le masque en s’engouffrant dans les excès de leur convoitise, les voici transformés en bons samaritains se rachetant une conduite pour honorer l’un des leurs. Pirouette aussi dispensable que frileuse, qui tente une réhabilitation qui n’aura pour conséquence que de lénifier davantage les personnages.
Étrange parcours, donc, que cette aventure percée en son centre d’un trou d’air qui aurait pu être salutaire. On pourra maladroitement se consoler d’y avoir entraperçu l’auteur qu’on attendait, et qu’on ne désespère pas de retrouver un jour sous des auspices plus personnels et singuliers.
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le 14 mars 2019
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