Le Club des Joyeux Dépressifs
Fraîchement diplômé de la FEMIS en 2009 en section scénario, Vincent Mariette n’a pas tardé avant de se lancer dans l’écriture et la réalisation de courts métrages. Et il n’a pas chômé puisqu’en trois ans, il a officié sur cinq courts métrages dont trois en étant également le réalisateur. Il a acquis la notoriété au sein de la profession avec Les Lézards, nommé aux Césars cette année. Ce huis-clos beau et amusant a contribué à la popularité de Vincent Macaigne, l’un des espoirs français les plus charismatiques du moment et a surtout conforté le réalisateur dans son envie de continuer et de se montrer toujours plus ambitieux. Sorti flatté et grandi d’un accueil critique ravi, Vincent Mariette se lance dans la réalisation de son premier long métrage, une version développée d’un travail de fin d’études. Tristesse Club est une sorte de road-trip dépressif farfelu au casting ravissant qui sonne comme une vieille chanson de Michel Houellebeck.
Déjà présent dans les premiers projets de Vincent Mariette, Vincent Macaigne et Noemie Lvovsky retrouvent le réalisateur sur ce premier long, accompagné de deux nouveaux, Ludivine Sagnier qu’on n’avait pas revue depuis Amour et Turbulences et Laurent Laffite, éternel abonné des comédies mais ici dans un rôle à contre-courant. Jamais il n’a été aussi juste et bon dans ce personnage de Léon, un salaud d’une beaufitude déconcertante, tirant sans cesse la tronche et coincé dans la pire des galères. Avant d’évoquer les ressorts scénaristiques, il faut rester un instant sur ces acteurs tous plus bons les uns que les autres. Laurent Laffite développe véritablement son personnage, et l’emmène dans une constante évolution amenant un vrai sentiment d’empathie. Son frangin Bruno, interprété par l’irrésistible Vincent Macaigne donne un ton juste qui oscille entre l’éternel mélancolique et le blasé touchant. Vincent Mariette qui l’a rencontré lors d’un festival lui avait proposé le rôle des Lézards car il avait été impressionné par cette puissance contenue dans son phrasé, sa gestuelle et ce « quelque chose de phénoménal » chez Macaigne. On ne doute pas que cette amitié va continuer après ce film. Cette vraie-fausse bromance entre ces deux personnages singuliers se verra perturber par l’arrivée d’une sœur inconnue jouée tout en sensualité, subtilité et douceur par une Ludivine Sagnier charmante. Un trio de joyeux gais lurons qui ont tous une profonde tristesse ancrée en eux, rendant le film aussi loufoque que mélancolique.
Car derrière ce road-trip quasi-statique à la recherche d’un père disparu, Tristesse Club est un film qui n’est jamais à mourir de rire. C’est davantage un long métrage qui trouve ses qualités dans ses subtilités, ses dialogues, ses retournements de situations, ses rencontres avec des personnages atypiques. Il n’y a pas la « punchline » qui fera pouffer de rire la salle, mais davantage le ridicule d’une situation qui provoquera des sourires aussi gênés que malicieux. Vincent Mariette aborde un cinéma du détail, de la subtilité. Il n’insiste jamais sur les éléments qui seraient susceptibles d’apporter une bonne tranche de rire. Il suffit de voir l’arrivée de ce trio familial dans la maison d’une des maîtresses de leur père, jouée par une Noémie Lvovsky aussi insensée que suicidaire. La maison renferme un cadre d’une sobriété totale, très cosy au sein duquel se dégage des tableaux mettant en scène des pénis sculptés en plâtre. De fait, la plus dépressive des discussions prend une tournure ridicule avec ce détail visible mais jamais focalisé dans le cadre, et c’est cela qui apporte une vraie tournure comique au film. Comme cette obsession du réalisateur pour les animaux empaillés. Des chiens, des chats et même un dodo, cet oiseau préhistorique disparu. Les personnages se bloquent sans cesse dans une sphère du mensonge où l’autre sait mais se tait, préférant tempérer et ne jamais décevoir. Lorsque les révélations éclatent, c’est là que le film tient ses moments les plus émouvants.
A force d’osciller entre le rire et le drame, Tristesse Club prend le risque de ne jamais trouver le ton juste. Un public non averti ressortira de la séance avec un goût d’amertume même si le titre est d’une incroyable justesse tant il symbolise le chagrin et le ton léger. Il est vrai que le film donne l’impression d’une suite de sketchs lié par un fil narratif mais qui peut s’avérer découpé en quatre, cinq courts métrages. Peut-être cette manie du format court qu’il vient seulement de quitter pour le long, qu’il ne maîtrise pas encore. De même que le film manque cruellement de rythme mais se voit compensé par l’interprétation des acteurs qui portent véritablement le film. Tout en contemplation, Tristesse Club prend le temps de poser son regard sur cet environnement savoisien et ses personnages perdus. Un parti-pris qui en déstabilisera certains.
A l’inverse, cette obsession de tout vouloir réguler dans le cadre se ressent dans une mise en scène parfaitement maîtrisée, stylisée sans jamais être prétentieuse. Vincent Mariette a toujours affirmé sa reconnaissance pour le cinéma de Noah Baumbach ou Wes Anderson et cela se ressent dans de très nombreux plans, notamment certains travellings amenés en douceur qui voit la caméra reculer de manière à peine perceptible tandis que l’action au centre est particulièrement mouvementée. Un joli effet de mise en scène que les puristes apprécieront. Si l’ombre de Wes Anderson plane au-dessus du film, la symétrie n’est pas de l’ordre de Vincent Mariette qui s’avère être l’élève ayant encore beaucoup à apprendre du maître et surtout de ses expériences. Une lumière envoûtante ajoute cependant un vrai cachet au film tandis que la bande-son offre quelques très bons morceaux mélancoliques au synthé. Tout ce travail technique contribue à la construction de l’univers du film qui tend aussi bien vers le drame familial que le buddy movie. Un récit au ton léger mais au propos rigoureux qui invoque une réflexion sur la famille, la mort, le passé. Tous les personnages ne sont au fond qu’une bande de ratés, de dépressifs touchants avec qui l’on a envie de partager un moment et de les accompagner dans cette éprouvante réconciliation.
Lorsque l’on quitte le Tristesse Club au détour d’un plan final sublime, on ressort bousculé de cette prise de risque d’un cinéma français qui bouscule les codes et ose la subtilité à la lourdeur d’une comédie populaire normée. Cette comédie douce-amère est la suite d’une production française qui revendique son existence avec des réalisateurs comme Guillaume Brac (Un monde sans femmes), Sebastien Betbeder (2 automnes 3 hivers), Justine Triet (La Bataille de Solférino) ou le génial Antonin Peretjatko (La Fille du 14 Juillet). Des films sensibles, poignants, parfois terriblement drôles, parfois pas mais qui donne l’impression d’une nouvelle vague d’un cinéma de genre qui manquait cruellement à la France. Tristesse Club est un petit film déconcertant mais également un petit objet filmique plaisant qui témoigne d’un amour insatiable pour le cinéma. C’est fait avec suffisamment de cœur et de passion pour y jeter un coup d’œil. Vincent Mariette parle déjà d’un projet d’écriture en cours. On ne peut qu’être confiant à l’avenir pour ce petit gars, jeune espoir du cinéma français.