Excellent et reconnu pour ses comédies romantiques, Emmanuel Mouret nous propose avec Trois Amies, son 12ème long-métrage (et après le très réussi Chronique d'une liaison passagère en 2022), une très belle et originale comédie, à la fois dramatique et romantique. Le réalisateur y décortique avec bonheur et humour, passion et tragédie, les histoires d'amour souvent tumultueuses et indécises, la valeur inestimable de l'amitié, et plus généralement les relations humaines dans toute leur complexité et leurs émotions ! Le film fait aussi une incursion dans le genre fantastique avec la présence spectrale et fantomatique d'un des personnages malheureusement disparu.
Inspirés par le film Alice (prénom repris pour une des héroïnes) de Woody Allen (1990), le réalisateur et sa co-scénariste Carmen Leroi, construisent un film choral autour de 6 personnages principaux, les Trois Amies (Joan, Rebecca, et Alice) et leurs conjoint, amant et ami, nous faisant vivre leurs destins croisés, heureux et malheureux, non sans nous offrir des situations pour le moins cocasses, rappelant ainsi le théâtre de boulevard.
Et pour autant amies qu'elles soient, les trois héroïnes ont une conception très différente de la relation amoureuse, qu'elles confrontent avec justesse et empathie :
- Joan, en permanent questionnement sur son couple; elle ne s'estime pas suffisamment amoureuse, on la découvre en fait très égocentrée au fil des rencontres; elle est jouée avec talent, douceur et sensibilité par India Hair;
- Alice, qui fait semblant que son couple fonctionne; elle a peur des de l'insécurité des aventures extra-conjugales (qu'elle compare avec humour à l'escalade qui donne le vertige); on adore Camille Cottin dans ce rôle, une valeur sûre pour ce film;
- Rebecca, qui cherche la grande passion, n'hésite pas à aller la chercher chez les maris des autres, sans vouloir leur faire de mal; mais elle se trompe beaucoup dans ses relations (l'IA finira par avoir raison avant elle, clin d'œil très drôle au hasard des rencontres); Sara Forestier est épatante dans ce rôle, dynamique, espiègle et bonne copine.
Et les hommes dans tout ça ? Ils ont fort à faire pour s'adapter à l'humeur amoureuse de ces dames, ce qui n'en fait pas un film féministe.
Sur les 3 principaux, seuls deux en réalité sont à la hauteur du challenge :
- Victor, le conjoint amoureux de Joan, patient et affable; omniprésent dans le film, Vincent Macaigne (déjà présent dans Chronique d'une liaison passagère) l'incarne parfaitement avec empathie, douleur et désillusion, sans ménager sa compassion, dans un mode réel puis subliminal très bien réussi;
- Thomas (un excellent Damien Bonnard), ce prof de français connu pour son livre "Heureuse Complexité"; homme séparé, ami et confident de Joan, il attend plus de ces relations, sera-t-il récompensé ?
- Eric, le compagnon et amant dépassé; Grégoire Ludig ne semble jamais vraiment à la hauteur dans ce rôle, ballotté qu'il est entre Alice et Rebecca.
A noter aussi la bonne prestation éphémère de Eric Caravaca, dans le rôle de ce peintre adulé et courtisé.
Avec de tels personnages variés, le scénario et la narration millimétrés nous font passer par de nombreux méandres et complications, mais on navigue d'une situation à l'autre de manière plutôt agréable et bien rythmée, sauf au tout début où une voix off un peu déroutante d'un des protagonistes nous perd quant au vrai commencement de l'aventure (on se dit quelle importance ?), heureusement que ça ne dure pas.
Les dialogues, variés et justes, permettent parfaitement de rendre compte des situations, qu'elles soient heureuses, trépidantes ou dramatiques; le réalisateur sait aussi utiliser les regards et les non-dits, et ainsi exprimer la profondeur de sentiments parfois difficiles à exprimer.
Astucieusement, la mise en scène, principalement orchestrée à Lyon, fait appel à des milieux sociaux "normaux", et notamment au sein d'un établissement scolaire, où la plupart de nos protagonistes travaillent, vivant dans des appartements confortables mais pas ostentatoires comme dans beaucoup de comédies de ce type, notamment américaines : cela donne une force au film car le spectateur peut ainsi s'identifier aisément aux protagonistes, ce qui crée l'empathie et nous fait aimer ces histoires. Notamment les prises de vue entre pièces et couloirs, via une porte qui fait apparaître un seul personnage ainsi mis en valeur, donnent de la puissance et de l'intimité aux échanges, et portent habilement à la réflexion.
L'ensemble est harmonieusement complété par une musique d'inspiration classique, le compositeur de la musique du film, Benjamin Esdraffo, convoquant avec justesse de grands musiciens comme Chostakovitch, Mozart ou Beethoven.
Une très belle comédie dramatique et romantique, à la française, excellent cru d'Emmanuel Mouret, à visionner sans modération, vous ne manquerez pas de ressentir les émotions, graves ou légères de ses nombreux personnages !