Un film incroyable, techniquement ahurissant qu'il faut impérativement resituer dans son contexte pour en considérer la grandeur et l'importance historiques. Tournés sur près de dix ans et commencés l'année de la mort de Vladimir Ilitch Lénine ces Trois Chants sur Lénine constituent l'un des derniers films majeurs de Dziga Vertov, cette "infatigable toupie" qui n'a eu de cesse de ré-inventer la grammaire du Septième Art d'une Oeuvre à la suivante.
Principalement connu pour son film-manifeste ( et chef d'oeuvre ) L'homme à la Caméra et pour ses perpétuelles expérimentations visuelles prolongeant littéralement le regard de l'oeil humain Vertov s'inscrit ici sans conteste dans le pur film de propagande soviétique ; sorti sur les écrans pratiquement la même année que Le Triomphe de la Volonté de Leni Riefenstahl ledit métrage glorifie la figure de Lénine avant, pendant et après son passage de vie à trépas, la sublimant, l'agrandissant et l'isolant astucieusement parmi les foules de bolcheviks et de prolétaires lui vouant aveuglément un culte plein de ferveur et de sanctification en tout genre...
Visuellement somptueux, émotionnellement puissant, rythmiquement efficace et vertigineux... On a peu de peine à imaginer l'impression que Trois Chants sur Lénine a pu générer sur le peuple soviétique lors de sa sortie en 1934. En héroïsant Ilitch Lénine à renfort de saisissantes contre-plongées tout en lui attribuant une identité entièrement humaine ( l'homme habitait dans une modeste cabane, portait la gapette comme tout un chacun, etc...) Dziga Vertov fait de la figure politique et révolutionnaire sus-citée un monstre de grandeur exemplaire résolument immortel.
Une fois encore le montage est une mine d'interprétations, perpétuant les attractions théoriques instiguées par S.M. Eisenstein tout en les rendant bien davantage lisibles et beaucoup plus attrayantes que chez l'auteur de La Grève ou de Octobre, car sans doutes bien moins absconses et sibyllines. Chez Vertov nul besoin d'avoir recours à une grille de lecture pour apprécier le spectacle : on peut du reste se perdre dangereusement dans cette glorification entêtante des prémisses du bolchevisme et des premières années de l'URSS, preuve encore une fois que ce chef d'oeuvre formel et grammatical et à replacer dans son époque pour en apprécier la force - et les limites humaines. Magistral.