Trois femmes
7.5
Trois femmes

Film de Robert Altman (1977)

Dès le titre du film.


Il annonce trois femmes. On n’en voit que deux – qui occupent tout l’espace du récit. La troisième, qu’on n’identifie pas d’ailleurs immédiatement, n’apparaît en fait que de façon très ponctuelle. Presque muette, enceinte, elle traverse le film comme un fantôme, et en dessinant des fresques mythologiques et mystérieuses. Elle ne rejoindra vraiment les deux autres que lors de l’ultime séquence.


Il y a mieux - les deux femmes finissent par se confondre, par ne plus faire qu’une au terme d’un renversement brutal de la situation, avec une captation absolue d’identité – du nom retrouvé (toutes deux en réalité s’appellent Mildred, même si le nom est dissimulé au début derrière un diminutif ou un surnom) aux papiers officiels et jusqu’à l’appropriation du plus intime, le journal intime : c’est la confusion absolue entre la jeune femme (presque une adolescente) qui semble découvrir le monde et sa « mère » de substitution, qui vit dans l’illusion et le déni de sa propre solitude. Deux (?) femmes qui finissent par se confondre …


HOMME


Il y a l’homme aussi.


Apparemment relégué au second plan. Vulgaire, alcoolique, vieux, lourd, assez ridicule.


Oui mais – il sera successivement l’amant des trois femmes, une manière de trait d’union entre elles.


Son aspect, son allure peuvent aussi interpeller : c’est un cow-boy, mais un cow-boy d’opérette, qui aurait été naguère la doublure d’un acteur interprétant le rôle de Wyatt Earp dans un western dont on ne saura pas le titre. Il en reste son déguisement et sa façon un peu puérile de jouer, de « jongler » avec son revolver.


Il est aussi, là encore sans qu’on le réalise immédiatement, le « maître » du film, le propriétaire de ses deux espaces essentiels – la résidence où vivent les deux femmes avec sa piscine (et au fond de la piscine les dessins hiéroglyphiques de sa compagne) et le parc d’attractions avec son bar où les protagonistes se retrouvent régulièrement.


Cet individu, vulgaire, alcoolique, vieux, lourd et assez ridicule au bout du compte, si apparemment secondaire, ne serait-ce pas une image, à peine symbolique et assez ruinée, de l’Amérique ?


ESPACES


Deux lieux donc, avec le même propriétaire, trois en fait, avec l’hospice gériatrique où les deux femmes exercent – la plus jeune (Sissi Spacek) étant placée sous la tutelle de son aînée (Shelley Duvall). Le point commun entre l’hospice et la résidence tient dans la présence, dans l’omniprésence de la piscine, de l’eau.


Il y a enfin le parc d’attractions ruiniforme, avec son golf miniature à l’abandon – et où ne subsistent en fait que trois lieux symboliques, un bar assez miteux, un anneau en terre battue et boueuse, où tournent régulièrement quelques motos tout terrain, un stand de tir où quelques faux cow-boys s’exercent sur des cibles de fête foraine (les femmes s’y essaieront aussi, brillamment).


Un décor sale, ruiné, laid – avec le désert le plus aride alentour.


Un monde où les trois femmes passent régulièrement, Millie (Shelley Duvall, remarquable) en tête, elle qui annonce partout ses réussites, ses conquêtes humaines et culinaires, alors qu’elle baigne dans la solitude la plus absolue. Millie et la tristesse de son journal intime (que Pinkie va bientôt s’approprier). Millie dont la robe reste régulièrement coincée dans la portière de sa voiture.


Le bar, la moto (en guise d’étalon), le tir … Une image symbolique, et très abîmée de l’Amérique mise à mal par le réalisateur ?


On serait donc bien chez Robert Altman.


TEMPS


Ces différents espaces s’inscrivent dans un cadre temporel complexe et complet.


Le film s’ouvre sur l’évocation de la vieillesse et du déclin, au sein d’un établissement spécialisé où d’ailleurs, s’ils sont évidemment présents, les vieux n’ont presque jamais le droit à la parole.


Et le film s’achève sur le monde futur avec l’accouchement et la naissance de l’enfant


(ou pas)


.


Au-delà encore, il y a ces fresques mystérieuses, inquiétantes, de temps immémoriaux et cruels.


A travers ces marqueurs extrêmes, le présent des trois femmes (elles-mêmes graduellement séparées par l’âge) semble des plus incertains et très immobile – elles semblent ne pas avoir de passé, du moins pas de passé où elles pourraient se retrouver, à l’image de la plus jeune, Pinky, qui ne peut pas (ou ne veut pas) reconnaître ses parents venus à son chevet.


Il ne reste que ces espaces ruinés, abîmés par le temps, entourés de désert.


EAU


Le désert – mais l’eau aussi, plus que présente, pour un contraste définitif.


L’eau de jouvence, celle des bassins dans lesquels on immmerge les vieillards, pour un retour à la vie.


Mais aussi surtout l’eau de la piscine, l’eau du grand plongeon pour Pinkie, à l’instant où elle a l’impression d’avoir été trahie, le saut dans le vide avec la rencontre, « tout au fond de la piscine », des divinités mythiques et mystérieuses esquissées par la mystérieuse troisième femme. C’est aussi l’instant où c’est tout le film qui va basculer, les rapports entre les femmes s’inverser, l’appropriation de l’identité s’engager.


L’eau encore, le liquide amniotique, dans lequel baigne le fœtus, qui le protège.


Et l’eau enfin, ce bleu qui envahit l’image, à l’occasion d’un rêve prolongé, étrange, à la fin du film – mais qui ne conclut pas le film.


REVE


3 women serait né, selon Robert Altman, d’un rêve où il aurait presque tout vu de son film, des événements au casting …


Le récit débouche donc sur un rêve – tout en images floues, vaporeuses, mêlées, bleutées, liquides. Où se succèdent dans un ordre « aléatoire » des images, des ponctuations déjà aperçues au long du récit. Avec l’omniprésence des figures mythologiques ; Une musique et une atmosphère pour le moins anxiogènes ...


Au point qu’il serait vain de prétendre se lancer dans une interprétation « définitive ». Et tout ce qui vient d’être écrit est sans doute assez vain. Le film défie en fait tout essai d’interprétation (ce qui n’empêche pas de se lancer dans l’exercice, comme un jeu …)


Un rêve donc, avec des personnages qui se dédoublent, qui se confondent, au point qu’on finit par ne plus savoir qui rêve des deux femmes.


(...)


Elles sont trois.


Et elles vont finir par se retrouver,lors de la séquence ultime, se débarrasser des masques, pour une trinité enfin reconstituée,


autour d’un enfant mort-né


et un mystère insondable.

pphf
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le 5 nov. 2018

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