Film social roumain dénonçant l’homophobie ordinaire : bien des spectateurs y verront là le pitch typique d’une sélection en compétition à Cannes, et qui vend tout sauf du rêve lorsqu’il s’agira de se déplacer en salles.
Pourtant, Emanuel Parvu déjoue bien des clichés pour traiter son sujet, qui évoque précisément les a priori et les réflexions préfabriquées. Dans ce village reculé du delta du Danube à l’unité de lieu insulaire, le récit est resserré comme pourrait l’être une pièce de théâtre : les personnages sont des fonctions (père, mère, chef de la police, prêtre, riche influent), et la démonstration sans concession. À la suite du passage à tabac du fils, le caractère homophobe de l’agression crispe tout ce petit monde dans un huis clos étouffant, où la surveillance et la crainte du regard des autres prouve que la période aliénante du communisme laisse encore des traces profondes.
Mais Parvu déjoue tout autant les attentes par des choix singuliers : le lieu, sorte de paradis édénique baigné de soleil auquel on accède uniquement par bateau, se présente comme une utopie à l’écart du monde – et une destination prisée par les touristes. La période estivale baigne chaque plan, ajoutant au caractère étouffant du village, où chacun se connaît, une atmosphère bienfaisante, une circulation de la lumière et du vent dans les arbres, contrepoint assez cruel et ironique au regard de la prison à ciel ouvert dans laquelle évoluent les protagonistes.
Parvu constate, presque à distance, le déroulé des événements : la composition accorde à chacun sa juste place, l’absence de musique assèche le ton, et l’attention apportée au dialogue permet l’expression de tous les points de vue. Un enfer pavé de bonnes intentions, où l’absurdité pointe presque involontairement, dans les craintes liées à des croyances d’un autre temps où le violent exorcisme pratiqué par un prêtre.
Parler, c’est justifier et laisser libre cour à tous les mécanismes ancestraux permettant de figer l’ordre des choses : l’obscurantisme religieux, le patriarcat viriliste, la corruption endémique et le règne des plus riches. Le jeune protagoniste, au bout d’un monde qui pourrait sembler exotique à tous les touristes venus s’y ressourcer, cristallise l’éternel retour des forces noires de l’humanité.
La sobriété du ton est la véritable force du récit, qui s’en tiendra au visage tuméfié de son martyre pour dresser l’état des lieux d’une civilisation à laquelle il faudra, par la lutte et une nouvelle forme de violence, substituer une nouvelle ligne d’horizon, qui, cohérence oblige, restera elle aussi hors champ.