Trois destins qui se croisent à un carrefour : depuis le magistral Amours chiennes d'Iñarritu, l'argument est bien connu. Catherine Corsini reprend dès le début la recette : on découvre d'abord, en montage alterné comme il se doit,
- Al enterrant sa vie de garçon avec ses potes par un rodéo en Mercedes ;
- une partie de poker chez des Moldaves s'achevant par le départ de l'un d'entre eux, non sans avoir embrassé sa Vera aimante ;
- enfin un couple qui se dispute autour de son lieu de vie, Juliette n'étant pas très chaude pour cohabiter avec son Frédéric, bien qu'enceinte.
Ladite Juliette, venue se poster à la fenêtre ouverte, assiste au drame : Al, surexcité et distrait par une image sur un téléphone, vient de percuter un homme qui se retrouve sur le macadam à demi-mort. Délit de fuite de notre héros pressé par ses copains, appel du Samu par Juliette. Vera arrive sur place effondrée, Juliette est sonnée et perplexe, Al est bien dégrisé.
Le film va ensuite nous montrer, classiquement, les conséquences pour chacun des personnages.
Al est rongée par la culpabilité, sourd aux injonctions de ses deux copains qui lui intiment de ne surtout rien faire : il va se rendre imprudemment à l'hôpital où sa victime a été opérée pour vérifier qu'elle est en vie. C'est là que Juliette, qui soutient Vera, va le repérer, puis le trouver dans son entreprise. Sans papiers, Vera n'a droit à rien, il lui faut donc de l'argent. Puisqu'il vient d'être nommé patron du garage de son futur beau-père, Al se croit les mains libres : il va vendre au noir l'une des voitures, voilà donc déjà 6 000 €. Mais quand l'homme va mourir, il faudra payer le rapatriement du corps en Moldavie, d'où une deuxième voiture bradée sous le manteau. Entre temps, il s’est passé des choses : Al et Juliette sont devenus amants, l'un des potes d'Al menace à demi-mots de le faire chanter, et le patron s'est rendu compte des magouilles de son futur gendre. Bref, tout vire au noir pour Al à qui la vie semblait sourire durablement. Sa promise (Adèle Haenel) a découvert le pot aux roses mais elle continue de le soutenir, c'est inespéré mais ça ne tire pas d'affaires un Al rongé par le remords.
Cette mécanique n'est pas mal agencée, l'ensemble est plutôt prenant. Mais, sur le terrain des frères Dardenne, Catherine Corsini s'avère bien moins talentueuse. On le sait, les Dardenne se surveillent constamment pour ne pas forcer le trait. Corsini s'astreint beaucoup moins à cette salutaire réserve.
Dans le scénario d'abord. Certes, le film a le mérite de ne pas juger ses personnages : Al n'est pas un salaud, il a juste eu un moment d'égarement et il veut réparer sa faute ; Juliette veut aider Vera mais aussi, rapidement, Al qui la touche ; Vera est hors d'elle puisqu'elle vient de perdre l'homme qu'elle aimait. Il n'en reste pas moins que Catherine Corsini chausse assez souvent les gros sabots. Lorsque Juliette et Al, ivres de désir sans doute, forniquent à l'arrière de la voiture, on lève un peu les yeux au ciel, d’autant plus qu’on a quelque peine à imaginer la sage étudiante en médecine adepte de pratiques digne d’un porno... Lorsque les deux Moldaves vont casser la gueule à Al ou quand le patron reçoit des enveloppes en liquide, on n'est pas très loin du cliché. La migrante qui pète un câble face aux médecins qui refusent de lui acheter les organes de son mari ou le prof de philo qui dispense un cours sur la mort chez Heidegger forcent aussi pas mal le trait. La réalisation est sans surprise : on cherche en vain un plan ou une idée originale.
Dans le jeu des acteurs ensuite. Raphaël Personnaz a beau ressembler un peu à Alain Delon, on peut penser que ce dernier l'aurait joué plus subtil, plus subversif aussi, dans l'expression de la nervosité - qu'on compare la composition de Personnaz ici avec le Monsieur Klein de Losey. Clothilde Hesme surjoue aussi la fille perdue, ballotée entre ses injonctions morales et ses sentiments.
Quelques moments, pourtant, sont réussis, surtout dans la violence : la colère de Vera face aux médecins (Arta Dobroshi, découverte dans Le silence de Lorna, des... Dardenne) sauve un peu la scène ; la dispute entre Al et son futur beau-père atteint une certaine intensité grâce au jeu de Jean-Pierre Malo ; la bagarre d'Al et Franck (incarné par Reda Kateb) est virevoltante et électrique.
Trois mondes : le projet était de montrer la confrontation du milieu des affaires aux dents longues (Al), de celui des bobos (Juliette et Martin) et des bas-fonds de la société (Vera et les siens), sur fond de dilemme moral. Le résultat reste assez superficiel : le remords d'Al, ce n'est pas vraiment Crime et châtiment... Reste une intrigue assez bien nouée, qui parvient à captiver. Si l'on s'en tient à cette exigence-là, le film remplit son contrat.
6,5