Prenez la première personne dans la rue, et demandez-lui de citer des films de Jacques Demy. Vous obtiendrez sans aucun doute Les Parapluies de Cherbourg, Les Demoiselles de Rochefort et probablement Peau d’Âne. On vous parlera de couleurs chamarrées, de danseurs frénétiques et de personnages qui chantent comme ils parlent ou peut être bien le contraire. On vous parlera aussi de sa collaboration artistique avec Michel Legrand ou de son épouse Agnès Varda. Mais peu parleront du dernier film qu’il ait réalisé : Trois Places pour le 26. Il constitue pourtant son point d’orgue. C’est un bilan de carrière pour le réalisateur mais également pour son acteur-star : Yves Montand.
Le chanteur-acteur vedette des « Feuilles Mortes » revient dans sa ville natale pour y créer un spectacle musical sur sa vie. C’est le moment que choisit la jeune Marion de Lambert pour rencontrer son idole et tenter d’entrer dans le show-business au grand détriment de sa mère (Françoise Fabian), autrefois l’amante de Montand. Marion ne sait pas qu’il est son père, il ne le sait pas non plus et semble toujours hanté par la mère.
Le triangle amoureux et freudien qui tient le film apparaît ici clairement. Jacques Demy prolonge alors un thème récurrent dans son œuvre : le rapport filial qu’il pousse à son paroxysme. Si Marion a bien un père, le baron de Lambert, il est absent du film car emprisonné pour malversations. Elle va trouver en Montand un père de substitution qui s’avère être son père biologique. Et si la fée de Peau d’Âne la prévenait « qu’on épouse jamais ses parents », Jacques Demy ne met pas de garde-fou à sa jeune fille ambitieuse et naïve jusqu’à une scène très osée pour l’époque.
Alors qu’une partie des films qui ont fait son succès traitait de jeunes qui voulaient quitter leur province pour monter à Paris, c’est ici le contraire. Le traitement de ce thème tend même à démontrer qu’il fait bon revenir aux sources quand l’ensemble de sa carrière est derrière soi. En ceci, le spectacle de Yves Montand qui nous est montré dans sa quasi-totalité est explicite : si on se souvient d’où on vient, le retour ne peut être que bénéfique. Cela paraît être le discours d’un homme qui sent que sa fin est proche et livre sa dernière œuvre.
Trois places pour le 26 souffre dans sa première partie d’un certain hermétisme. Les années 80 sont très marquées dans les compositions de Legrand et ce n’est pas pour le meilleur. On met un certain temps à y entrer. Mais une fois que Demy pose les jalons de son histoire œdipienne et le ton nostalgique, il emporte le spectateur pour ne le lâcher qu’une fois la dernière image diffusée. La distribution d’une justesse rare y est aussi pour beaucoup. Françoise Fabian rayonne et campe une Marie-Hélène toute en contradictions. Mathilda May capte le regard et la sympathie du spectateur. On a envie qu’elle réalise son rêve plus que tout. Quant à Montand, on sent à chaque instant que le scénario est écrit pour lui et qu’il y a déversé ce que son cœur contenait. Ainsi, sa tirade sur la grandeur de Piaf ou son amour de Simone sont des moments de poésie et d’émotion.
Trois places pour le 26 est une œuvre qui montre que Jacques Demy n’était pas que le réalisateur de la bonne humeur et des scènes colorées à outrance. C’est un Auteur avec un grand A dont l’univers est plus profond qu’il n’y parait, et qu’il convient de revisiter. Il disait de ce film : « On part en chantant sur les escaliers, c’est joyeux, et au fur et à mesure que le film avance, la comédie s’éloigne ». C’est finalement un résumé très juste.
**Un article de Florian Vallaud pour culturotopia.com **