Voir les frères Coen investir le terrain du western n’est une surprise pour personne. Leur œuvre est en elle-même un parcours à travers les genres, un réservoir inépuisable de citations et de détournement de tout ce qui s’est fait avant eux, du film noir à la comédie de remariage, en passant par le film de gangster ou le feel good à la Capra.
En s’attelant à True Grit ils précisent d’emblée que leur film sera bien une nouvelle adaptation du roman de Portis, et non un remake du Cent dollars d’Hathaway avec John Wayne, affirmant ainsi la prééminence du littéraire dans leur travail, un point qui va s’avérer névralgique. On connait en effet le rapport que les frères entretiennent avec le langage, la finesse de leur écriture et l’attention extrême qu’ils portent à la diction et aux accents. True Grit en sera un bel exemple, par un triangle assez original une jeune adolescence à l’impeccable parler tout droit sorti des livres s’adjoint les services d’un vieux marshal à la voix rocailleuse, gorgée d’alcool (le grand retour de Jeff Bridges chez les réalisateurs, 12 ans après The Big Lebowski) et d’un méticuleux et obtus Texas Ranger à l’accent traînant du sud sous les traits d’un Matt Damon prêt à renoncer à tout glamour pour intégrer la prestigieuse famille des réalisateurs.
Le folklore est donc planté. Dans une nature hostile et un monde encore grossièrement civilisé, l’établissement de la justice est une aventure. La demoiselle décide de prendre à son compte la vengeance du meurtre de son père, dans un monde viril et violent qui ne demande qu’à la rejeter à chaque séquence. On retrouve çà et là la malice avec laquelle les Coen désactivent certains clichés, face à des personnages tous sauf manichéen, particulièrement dans la figure du rustre Rooster, porté sur la bouteille et la gâchette, et tout sauf paternaliste, ayant pris sur lui la violence du territoire pour pouvoir y tracer sa route. La froideur méthodique de Mattie Ross crée une forme de distance qui nous fait aborder le récit comme on le ferait d’un ouvrage d’un autre temps, nouveau chapitre dans une filmographie généralement très portée sur l’Histoire et ses pages très variées.
Pourtant, l’académisme attend en embuscade. La patience dont fait preuve le spectateur (et qui a souvent porté ses fruits, qu’on pense aux rythmiques singulières de The Barber, No Country…, A Serious Man ou Inside Llewyn Davis par exemple) semble devoir être récompensée par un dernier tiers qui va progressivement prendre les rails de la convention : scènes d’action, mécanique du thriller (un personnage menacé jusqu’à l’arrivée, au dernier moment, d’un adjuvant venu le sauver), émergence de la tendresse, rien ne manque. Le tout souligné par une musique particulièrement présente et pompière (on a connu Carter Burwell, compositeur attitré des frangins, bien plus subtil et inspiré), qui accroît la lourdeur et les redondances.
Réalisé par un autre, on aurait trouvé True Grit plaisant. Sous l’œil aiguisé des frères Coen, cet exercice un peu conventionnel – qui reste à ce jour leur plus grand succès au box-office américain, ce qui n’a rien de surprenant – a de quoi laisser le cinéphile sur sa faim.
(6.5/10)