Mais qu'on les pende enfin... que je puisse boucler mon livre !

Vu une première fois en 2006, Truman Capote m'avait laissé froid. Philip Seymour Hoffman venait de se voir attribuer l'Oscar du meilleur acteur pour son incarnation de l'écrivain et comme je voulais que ce soit Heath Ledger qui l'obtienne (pour Brokeback Mountain), j'éprouvais un certain ressentiment vis à vis du film de Bennett Miller et de son principal interprète.

Je viens de revoir le film dans un tout autre contexte, un tout autre esprit et... je l'ai trouvé remarquable et la performance de PSH ébouriffante : l'acteur réussit à se glisser dans la peau de l'écrivain au point qu'on oublie vraiment, parfois, qu'il n'est pas Capote... alors que physiquement ils ne se ressemblent pas du tout, hormis le fait que ce sont tous les deux des blonds à peau claire.
Oui, malgré le contexte dramatique encore chaud bouillant (ndlr : cette critique ayant été initialement rédigée juste une semaine après la mort de Phil Hoffman, le 2 févier 2014, dans les circonstances que l'on sait), j'ai, pendant la projection, complètement oublié l'acteur pour ne plus penser qu'à celui qu'il personnifie : l'écrivain de 36 ans déjà renommé mais pas encore célèbre qui, s'interrogeant probablement sur son futur, flaire, dans un bref article de presse qui relate en 300 mots un quadruple meurtre commis dans une petite ville d'Alabama, qu'il y a là matière à un passionnant reportage sur l'Amérique profonde. Il se rend sur place accompagné de son amie d'enfance Harper Lee, tombe amoureux d'un des deux meurtriers, à moins que ça ne soit du sujet qu'ils lui offrent, réalise qu'il peut en tirer, non pas seulement un reportage, mais un ample roman d'un type nouveau (un "roman de non-fiction"), gagne la confiance des deux hommes en leur procurant un avocat pour faire appel de leur condamnation (en première instance) à la peine de mort, devient leur seule planche de salut, noue une relation affectivo-professionnelle avec eux, les visite pendant des mois et des années pour... leur tirer les vers du nez et en nourrir son roman, puis au bout de 3 ou 4 ans de sursis à l'exécution capitale, a hâte, comme son éditeur, de pouvoir écrire une fin consistante pour son De sang-froid, lequel devrait idéalement (pour la beauté de l'oeuvre en cours !) se conclure sur la pendaison des deux incarcérés - ses prétendus amis, pour lesquels il a fait tout ce qui était en son pouvoir (dit-il).
Le spectateur suit, haletant, le cheminement des pensées de l'écrivain dont chaque personnage du film sait ou soupçonne qu'il a des amis très hauts placés dans l'administration fédérale, à qui il pourrait très bien demander la grâce de Perry Smith et Richard Hickock.
Mais Capote n'intervient finalement pas en faveur des deux meurtriers et ne leur rend visite une ultime fois que sur l'insistance expresse de son amie Harper Lee.

J'aimais beaucoup Truman Capote jusqu'à aujourd'hui. J'ai lu la presque totalité de son oeuvre en langue originale (c'est un merveilleux styliste), je connais très bien sa vie pour avoir lu et relu la biographie que Gerald Clarke lui a consacrée. J'avais vu les deux films qu'on a réalisés sur sa vie, etc. Mais ce soir, en revoyant le Truman Capote de Miller, je me suis détaché de lui, parce que je suis maintenant quasiment convaincu qu'il a sacrifié la vie de ces deux malades mentaux (Hickock et Smith) sur l'holocauste de sa réussite professionnelle.
Il voulait que son De sang froid soit un événement littéraire et sociétal, en même temps qu'un chef d'oeuvre et son plus grand livre. Et la vie des deux meurtriers (des êtres humains néanmoins) pesait peanuts en comparaison.

Bon, je résume : un film magnifiquement pensé par les scénaristes Dan Futterman et Gerald Clarke, très sobrement réalisé par Bennett Miller et génialement interprété par Philip Seymour Hoffman.

Et paix aux âmes de tous les disparus évoqués ci-dessus.

Fleming
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le 14 juil. 2020

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