Tu imagines Robinson, tu imagines l'histoire en couleurs d'un homme qui te représente, jeté sur une île. Tu imagines un film dans lequel une voix-off s'adresse à toi. Te parle. T'explique ce que tu vois. T'explique que tu vois un homme seul. Et il aurait tout à faire. Tout à redécouvrir. Partant de rien. A son seul profit. Tu imagines un homme, un seul survivant d'un monde détruit. Un homme qui reconstruit, qui vit, qui essaye de vivre. Tu imagines un homme en sursis. Construisant sa vie. Sa survie. Tu comprends que ce film parle de la solitude. Pire. Te montre la solitude. Pire. Te fait vivre la solitude. Tu ne peux pas t'échapper. Tu ne peux pas regarder ailleurs parce que cette voix te parle. S'adresse à toi. Directement. Emploi du tu. Tu. Tu.
Si tu connais un peu Jean-Marie Pollet, tu retrouves sa façon si spéciale de filmer, sa façon de faire bouger la caméra. De jouer avec des lignes en diagonale. Avec le son naturel. Cette façon de revenir en arrière, de rejouer la même scène. Cette façon de filmer encore et encore les mêmes endroits, les mêmes images. Jusqu'à t'en écœurer. Jusqu'à t'en donner la nausée.
Mais si tu ne le connais pas, c'est pas si grave. Tu vois cet homme. Seul. En dehors du monde. Un homme pour qui tout est possible. Mais pour qui tout devient impossible.
Tu vois la solitude à l’œuvre. Tu l'entends hurler. Tu le vois dire des mots. Parler pour ne rien dire. Juste pour entendre des mots. Pour parler. Pour ne pas oublier les mots. Tu vois le désespoir, la folie qui le guette. Qui te guette. L'espoir. Tout qui s’évanouit.
Que tu le veuilles ou non, tu imagines Robinson. Tu t'imagines Robinson. Tu vis la solitude.