Niels Arestrup excelle dans les rôles de chef de tribu écrasant et étouffant. Comment ne pas évoquer De battre mon coeur s'est arrêté et sa prestation de haut vol en père irresponsable et dangereux ? Comment passer sous silence son personnage incroyable dans Un prophète, où il prend un jeune prisonnier sous son aile ? Et A perdre la raison, drame bouleversant où son omniprésence détruit psychologiquement et physiquement sa belle-fille, jusqu'à l'état de folie ? Tant de rôles qui mettent en évidence un talent indéniable pour les rapports de force au cinéma, cette force innée avec laquelle il incarne des précepteurs à la morale déchue par le temps.
Tu seras mon fils, ou comment tuer le père et le fils. Un thriller dramatique dans les coulisses d'un grand cru bordelais, où un père propriétaire richissime refuse l'aide de son fils (Lorànt Deutsch) à la mort de son seul collaborateur, incarné par Patrick Chesnais. Les humiliations publiques et violentes s'enchaînent et le père ne supporte plus l'image de son fils. Ses qualités deviennent des défauts, sa différence un véritable handicap, il exècre par-dessus tout son manque de nez et de compétence innée pour le vin lorsqu'il s'agit de prendre la relève. Tu seras mon fils est un désamour, un désaveu énorme pour ce fantôme du père qui abandonne son enfant petit à petit. Borné, déçu, méchant, cet homme à l'amour désincarné ne voit son fils que comme un raté, comme une image du passé qu'il ne souhaite plus entretenir.
Dans un cadre grandiose, la caméra isole les personnages mais les force souvent à la confrontation, où les non-dits deviennent des couteaux aiguisés, ou les silences deviennent rancœurs. Tu seras mon fils raconte deux relations père-fils, toujours entretenues par la flamme sacrée de la descendance et de la mort. Que laisserai-je derrière moi ? Grâce à la prestation monstrueuse - dans tous les sens du terme, de Niels Arestup, le métrage atteint des sommets d'émotions pures et troubles. Il ne lorgne ni sur un happy end maladroit, ni sur la ficelle un peu trop grosse de la comédie, mais se contente de parler vrai, de montrer vrai, tout en passant sous silence le plus important : le pourquoi. On ne saura jamais vraiment pourquoi, ces deux pères que Tu seras mon fils nous présente auront eu des réactions si disproportionnées. Peut-être que ça ne s'explique pas. Peut-être qu'un lien entre un père et son fils touche au sacré, à l'inévitable, à l'inégalable.