Dans d'autres mains, ce scénario n'aurait donné lieu qu'à une comédie romantique niaise et plate de plus, Ici, il n'en est rien. Grâce à un réalisateur exigeant, James Gray, qui arrive à la fois à se réinventer tout en réaffirmant les fondamentaux de son cinéma. Il livre une histoire simple et touchante servi par un traitement à fleur de peau, permettant à un Joaquin Phoenix littéralement en transe de porter le film.
Cette histoire d'amour, c'est une première pour Gray et très certainement une tentative d'ouverture, lui qui s'est auparavant exclusivement attaqué au genre policier. Un genre qu'il a creusé à trois reprises, reprenant inlassablement les mêmes thèmes, les relations entre frères, l'impossibilité d'échapper à son milieu social, sa famille, son destin.
Little Odessa, The Yards, et La Nuit Nous Appartient, trois films atypique et marginaux dans le cinéma américain moderne, de par leur complexité, l'esthétique très recherchée marquée par la peinture, entre Chirico et Georges De laTour, et le mariage entre inspiration européenne (Gray est un fan invétéré de Visconti) et américaine (Kazan pour la direction d'acteurs moderne et crédible).
Two Lovers est une tentative de se renouveler pour l'auteur donc, en abordant un autre genre. Pourtant, Gray aborde la romance comme il aborde le noir: en se concentrant sur la psychologie de ses personnages, déchirés entre les aspirations de liberté et la prégnance du milieu social, qui pèse inexorablement sur le comportement et les choix, aussi intimes fussent-ils. Une densité psychologique peu commune au genre romantique, en somme. D'ailleurs, Gray a indiqué s'être librement inspiré des Nuits Blanches de Dostoievski, autre histoire amère de triangle amoureux, le personnage principal du film partageant avec ceux de l'auteur russe un malaise profond, un penchant masochiste à s'attacher à un amour construit d'illusions et d'obsessions.
De ses travaux précédents dans le policier, Gray conserve aussi les séquences de tension muettes, au découpage particulièrement bien pensé. Se concentrant sur un seul point de vue, ces séquences charnières (la séquence de l'hôpital et l'infiltration de la maison de Walhberg dans The Yards ou le deal de drogue et la course-poursuite de We Own The Night) sont ici transposées dans le genre romantique. Non plus liées à un contexte mafieux ou policier mais bien aux sentiments amoureux des personnages.
Si Phoenix porte le film, il faut tout de même penser à louer l'ensemble du cast, de Vinessa Shaw à Isabella Rossellini avec un rôle court mais crucial de mère attentionnée, ou Moni Moshonov qui jouait déja le père de substitution de Phoenix dans We Own The Night. Même Gwyneth Paltrow, généralement bien fade si ce n'est dans La Famille Tenenbaum, surprend par sa justesse.
Ce film recèle donc beaucoup de qualités, une esthétique recherchée, une subtilité inattendue (la fin à double lecture entre renoncement et accomplissement), une cohérence avec l'oeuvre générale de Gray, mais là où Two Lovers marque vraiment, c'est dans la prestation à couper le souffle de son acteur principal Joaquin Phoenix.
Il est tétanisant de par son intensité, son honnêteté, les nuances qu'il nous fait viscéralement ressentir, que ce soit la détresse existentielle la plus totale ou le réconfort profond apporté par l'amour.
Infiniment touchant.