Le grand Somai, ou tsunami sur Tokyo
Metteur en scène rare (mais considéré au Japon comme son meilleur représentant pendant les difficiles années 80) et disparu prématurément, film rare, vu récemment, dans le cadre de ma lente découverte du cinéma asiatique - et des impressions, très contradictoires, en trois temps :
- la surprise et la curiosité immédiate : avec une mise en scène, dès les premières images, extrêmement singulière : une absence de continuité narrative, une multiplication d'ellipses, des dialogues sibyllins, une accumulation de plans-séquences, des angles de prise de vue inédits, des plans de coupe pour le moins insolites ...
- l'exaspération qui s'installe dans la durée : les plans en caméra portée, souvent très mal portée, souvent assez laids; la sensation de dialogues mal écrits, voire improvisés, en boucle, souvent incompréhensibles ; des essais philosophico-métaphysiques abscons, et surtout ces plans fixes interminables (qui m'avaient déjà bien pourri la vie avec le dessin animé d'Oshii, l'Oeuf de l'ange, sorti la même année, sans autre rapport avec Typhoon Club, mais avec au moins un souci marqué de l'esthétique) - bref (long, plutôt), dans la durée, l'envie d'en finir au plus vite (d'où la note que j'ai quand même remontée, mais le doute persiste) ...
- et puis, bien après la fin du film, la curiosité à nouveau, des questions qui reviennent et des embryons de réponses (sans doute erronées), et l'envie de revoir Typhoon Club, pas forcément tout de suite, plutôt les autres films, ultérieurs, de Shinji Somai (mais ils sont sans doute très difficiles à trouver en France) - et au-delà de la seule originalité immédiate et formelle, la sensation que celle-ci n'a rien de gratuit, dit même beaucoup sur le Japon et sa déliquescence.
Le meilleur exemple tient sans doute dans les ruptures narratives permanentes, la juxtaposition ininterrompue de scènes à peine liées (sinon par la présence des mêmes personnages). Cela finit même par en devenir très frappant, tout avorte - à commencer par le pire : un essai, "ludique", de meurtre par noyade d'un collégien par trois collégiennes - qui échoue in extremis, sans que personne, ni la victime, ni les coupables, ni les sauveteurs approximatifs n'en semble vraiment affecté; un essai de viol, avec poursuite grotesque façon Scream, de tentatives presque réussies en nouvelles tentatives avortées, "s'achève" finalement sur le renoncement très mélodramatique et très expressif de l'assaillant au moment où sa tentative allait aboutir. A un autre niveau, les essais de rencontre, constamment sollicitées, entre les deux jeunes héros n'aboutiront jamais et la fugue, l'errance de l'héroïne dans Tokyo battue par la pluie, n'aboutira à rien.
On tient là sans doute l'image de ce japon en déshérence, où plus rien n'est possible, surtout pour la jeunesse. Et de même, la multiplication des plans à distance (une autre originalité de la mise en scène), qui ne permet pas d'identifier les individus, peut-elle aussi traduire cette quête impossible de l'identité.
Dans ce monde, symbolisé ici par le microcosme du collège, les adultes, quasi absents, réduits à l'état d'ectoplasme (le proviseur), ridiculisés et pathétiques (le professeur de mathématiques, seul représentant en fait de leur univers), incapables de répondre aux questions des adolescents - sur la sexualité, le sens de la vie, l'absence de futur ...
Dans ce cadre, le typhon (une thématique très parlante pour les Japonais) qui débarque, pluie et bruit, qui enferme les collégiens à l'intérieur de leur établissement, exacerbe les tendances refoulées, parfois glauques et le désir de libération, joue sans doute un rôle expiatoire, purificateur - cathartique. L'apnée en est peut-être la scène de danse en extérieur (esthétiquement sans doute la plus réussie), mais également rapidement avortée - à cause de la pluie elle-même évidemment.
En dépit des titres étonnamment semblables des films (Breakfast Club - Typhoon Club), des thématiques apparemment identiques (des adolescents enfermés dans leur collège l'espace d'une journée) et de dates de sortie concomitantes, l'oeuvre de Shinji Somai ne peut guère être rapprochée de celle de John Hughes. Elle n'a rien d'un teen-movie et lorgne plutôt vers le Short cuts de Robert Altman.
Film choral, des groupes, des nuées de filles et de garçons, et quelques adultes, se croisent, se séparent , se retrouvent ou non, dans des lieux éclatés, les divers espaces du collège, mais aussi Tokyo et ses environs (l'évasion de Rye) ; et aussi, surtout, critique au napalm de sa propre société, encore amplifiée par la catastrophe naturelle (ici le typhon; dans Short Cuts ce sera un tremblement de terre). Mais le film d'Altman est très postérieur.
Il ressort de Typhoon Club une profonde ambigüité, qui donne encore plus envie de connaître l'oeuvre de son auteur. Il n'est pas certain que l'entreprise purificatoire via le typhon aboutisse davantage que toutes les autres tentatives avortées. En fait (et c'est une autre approche de l'originalité du film) tous les moments de grande tension, ou de libération, les temps mêmes où monte la folie et où se profile la tragédie, sont systématiquement désamorcés : on l'a vu pour les esquisses de meurtre et de viol, ça l'est aussi, à un autre niveau, pour les scènes de danse où les adolescents se débarrassent de leurs vêtements, de leurs vieux oripeaux - il n'y a pas non plus de dérapages (et cela en devient presque plus pervers). On peut donc s'interroger sur la portée réelle de cette libération par la danse (à la chorégraphie pour le moins approximative, mais ce n'est peut-être pas un signe négatif) et sur l'avenir qu'elle suggère. Rye de son côté avait aussi ôté son vieil uniforme (remplacé par une robe rouge surgie d'on ne sait où), pour finalement le remettre...
Et l'action ultime, celle du suicide par grand plongeon interposé, du jeune héros, dans la plus pure tradition des kamikazes, et pour des motifs aussi obscurs dans leur formulation que ceux de Mishima (le film est aussi sorti la même année ...) n'incite pas forcément à l'optimisme. Il y a pourtant un dernier pied de nez - la position grotesque du suicidé, d'Icare au bout de sa chute, et l'indifférence des témoins. Pessimisme ? L'oeuvre de Somai mérite, décidément, dêtre revisitée.