Le film de Klapisch nous propose une critique acide des relations familiales dans un pauvre bar miteux à côté d'un passage à niveaux. Si rien n'est nouveau dans le traitement de ce sujet qui fait parfois très français, on peut lui accorder une grande finesse avec des personnages touchants, des dialogues très bien ciselés et une ambiance qui tend vers le glauque au point de faire souvent passer le film d'une comédie à une tragédie acide dont les rires qu'il provoque ont un arrière goût de Suze.
Dans ce huis-clos très sartrien, aucun acteur n'est en dessous des autres mais aucun ne sort de sa zone de confort non plus. Ce n'est pas un mal puisque cela leur permet de donner beaucoup de lourdeur, de vérité marquée par une histoire familiale que l'on ne connait finalement que très peu, à chacune des lignes du dialogue. Chaque petite blague porte son lot de jugement, chaque remarque porte sa petite recherche de domination, chaque action porte sa volonté de ramener à soi. Et à ce jeu forcément, certains personnages s'en sortent mieux que d'autres. L'explosion de cette famille qui se retrouve bloquée dans ce bar (parce qu'un membre rapporté refuse de reproduire son schéma avec l'Arlésienne qu'est Arlette) est finalement le fait du seul personnage, Denis, qui est hors de cette lourdeur familiale, qui crée la révolte en étant le seul à écouter mais aussi en étant le seul à n'avoir aucun passif ce qui lui permet de plus facilement dépasser les relations déjà définies.
Ainsi, par ses conseils à Henri, sa danse avec Yolande, par ses recadrages de Betty (lui montrant au passage que sa révolte contre sa mère n'était finalement pas complète et qu'elle n'était qu'en train de reproduire son schéma de juge réprobatrice) et enfin par son altercation avec Philippe, Denis rebat les cartes de la famille et met chacun de ses membres face à son hypocrisie. La conclusion du film est en cela très prévisible pour Klapisch : seuls ceux qui oseront changer pourront passer à la suite. Henri est récompensé de sa tentative de récupérer Arlette et parvient à renouer le dialogue avec elle. Betty peut admettre qu'elle attend plus de sa relation avec Denis. Yolande est enfin entendue bien que cela ne semble que passager.
On peut toutefois reprocher au film sa grande prévisibilité, son symbolisme un peu envahissant et la théâtralité dont il a parfois du mal à sortir. L'abus et le sur-abus de fusils de Tchekhov, s'il a l'intérêt de montrer que rien n'est laissé au hasard, nous fait perdre de la réalité des scènes et parfois des dialogues. On sait déjà que la mère va tomber à cause de l'ampoule, on sait déjà que l'altercation de Betty avec un supérieur de Philippe va finir par mettre en rage ce dernier, on sait déjà qu'on va reprocher à Yolande de trop boire malgré son anniversaire. Tristement, cela rend les différentes explosions un peu artificielles ce qui n'arrange pas le côté théâtral du film.
En somme, du Klapisch, du Jaoui, du Bacri pur jus. Touchant mais prévisible. Ce film peut s'approcher de deux manières différentes. Comme une comédie, où le spectateur pourra rire de chacune des piques des personnages, de leur relative médiocrité et de la faiblesse du vernis sensé leur permettre de cacher sous le tapis toute la douleur de leurs relations. Ou comme une tragédie, où le spectateur ne pourra s'empêcher d'y voir un peu de sa famille, de s'effrayer de tout ce qui peut se transmettre entre les générations sans être dit, de comprendre toute la vulgarité de la politesse. Si la comédie est agréable, c'est en tragédie que le film parait finalement le plus intéressant. Un appel au changement, à l'écoute et à l'auto-dérision.
Nota Bene : de la place du chien
Si le chien revient aussi souvent, il est évident qu'il porte par sa seule présence un symbolisme qu'il est intéressant de décrypter. Ce chien n'est rien d'autre que la relation familiale dans son ensemble. Paralysé par une histoire trop longue, répétable par l'acquisition d'un nouveau chien de la même race. En somme, c'est une malédiction à laquelle on s'accroche. Comme on ne peut se résoudre à abandonner ce pauvre chien, on ne peut mettre un terme à la relation familiale aussi empoisonnée soit-elle. Car, et c'est finalement le plus dur, il n'y a pas eu que des mauvais jours. Il fut un temps où le chien, donc la relation comme on peut le noter dans les retours en arrière, chantait. Mais elle a pourrie, elle s'est alourdie, jusqu'à ne plus pouvoir que faire semblant de se retrouver tous les vendredis dans ce bar miteux. Plus personne ne s'écoute, chacun vient avec son histoire de la semaine et répète le simulacre du bon repas dans un restaurant étoilé. Nulle évolution, seulement un cycle.
Et en cela, le fait d'offrir en cadeau à Yolande un chien de la même race est caractéristique. Elle fait désormais partie de la famille et il est temps qu'elle en porte la boulet commun. On remarquera que Yolande, qui partait comme un personnage ne devant être qu'une simple cruche bonne pour son mari, fait ici preuve d'un étonnant et salvateur instinct. Elle sent tout ce que cela a d'horrible de s'attacher à ce chien, d'en accepter le terrible destin. Alors que tous les autres se penchent sur Caruso avec tendresse, comme si de rien n'était, Yolande ne peut s'empêcher de relever que quelque chose cloche.
Le reste découle de lui-même. Elle tente de masquer son rejet du chien, commençant le cycle familiale de la poussière sous le tapis, mais échoue ce qui crée une rupture qui la sauve par la suite de son intégration à la tragédie. Ce qui ne l'empêche pas de se voir gratifiée d'un collier plus qu'ambigu laissant ouvert son futur. Changera-t-elle pour échapper au cycle telle Betty ou deviendra-t-elle la nouvelle mère de la famille ? La film ne le dit pas.
Il termine sur Henri disant au chien qu'ils n'allaient plus chanter tous les deux, montrant sa rupture avec sa famille et sa relation empoisonnée. Le personnage est cependant récompensé par le rappel de Yolande qui lui offre la possibilité de créer une nouvelle relation, plus ouverte, pour chanter à nouveau sans s'accrocher un nouveau boulet, sans s'attacher à un nouveau chien.