Un barrage contre le Pacifique par Brice B
Indochine, 1931. Sur les bords de l'Océan, dans la vallée de Siam, une femme veuve élève seule ses deux enfants, Joseph (20 ans) et Suzanne (16 ans). La concession qui lui a été vendue par le cadastre s'avère désastreuse : chaque année, lors des marées de décembre, le Pacifique envahit ses terres et inonde ses rizières, les rendant alors incultivables. La mère, interprétée par une Isabelle Huppert au jeu subtil et à l'allure gracieuse, parfaitement taillée pour le rôle, est décidée à ne pas baisser les bras. Armée de son courage, elle tient tête au cadastre qui tente de l'expulser de ses terres inexploitées, et s'assure le soutien des villageois dans sa lutte. Déterminée à sauver son exploitation, s'impose alors à elle un grand projet : construire un barrage pour empêcher l'eau de mer d'envahir ses cultures.
A ses côtés, Gaspard Ulliel tient le rôle d'un fils un peu sauvage, où jeunesse et virilité se confondent encore, devenu malgré lui l'homme de la famille. C'est lui qui éloignera les hommes du cadastre avec des méthodes expéditives, armé de son fusils deux-coups. Également très proche de sa jeune sœur Suzanne (Astrid Bergès-Frisbey), il se sent envers elle un devoir protecteur, surtout lorsque cette dernière est approchée par le fils d'un riche homme d'affaires chinois, Monsieur Jo (Randal Doug). Dans sa volonté d'être fidèle à l'ouvrage éponyme de Marguerite Duras, Rithy Panh, le réalisateur, revient sur le choix d'avoir fait de M. Jo un sino-cambodgien, alors que beaucoup de lecteurs l'imaginaient être blanc : « dans le texte, elle ne dit rien sur sa nationalité ; mais dans ses interviews, elle parle d'un Chinois. Il n'est pas occidental, mais occidentalisé. Il est jaune à l'extérieur, et blanc à l'intérieur ».
Sans revenus, confrontés à la même misère que les populations locales dont ils partagent le sort face à un cadastre corrompu, Joseph et sa mère –trop absorbée par ses projets- laisseront Suzanne fréquenter ce nouveau venu entouré d'argent et de bonnes manières, mais dont la bonne éducation semble n'être que le voile d'un objectif de contrôle agraire bien moins louable. La mère va alors envisager la relation de Suzanne et de M. Jo sous un autre angle, afin d'en tirer profit, à un moment où ses finances sont au plus mal, et où elle a désespérément besoin d'argent pour achever les travaux du barrage.
Un barrage contre le Pacifique est « à l'image du roman de Duras : un drame familial, une histoire sentimentale, une description sans concession du système colonial », nous dira le réalisateur. Il évoque le combat d'une mère pour sauver son exploitation, sa famille, et pour venir en aide aux villageois dont elle se sent proche, arborant tout en même temps un certain idéalisme colonial et un mépris du pouvoir corrompu. Elle parviendra même à insuffler un vent de révolte au sein de la population, dont les mouvements de contestation seront vite réprimés par les autorités. Rithy Panh précise d'ailleurs, « cette révolte entrainera comme on le sait de grandes catastrophes », songeant à la prise de pouvoir de Pol Pot qui s'est, selon lui, « appuyée sur l'humiliation et la colère des pauvres contre les régimes corrompus ». Jusque là habitué à la réalisation de documentaires, et entouré d'un casting de choix, il signe avec Un barrage contre le Pacifique une adaptation réussie d'une œuvre sensible et engagée.