A tout du château en Espagne
La comédienne Valéria Bruni-Tedeschi continue à explorer sa propre histoire et son vécu pour en dénicher le matériau de ses réalisations. Après s’être penchée sur les rapports sororaux et son métier d’actrice, elle aborde aujourd’hui les sujets plus douloureux et, probablement, plus intimes de la disparition du frère tant aimé, mort du sida, et de la ruine de la famille, envisageant de transformer le château italien en musée, colonie de vacances ou refuge pour drogués et de se séparer des objets de valeur, dont une toile de Bruegel (où deux hommes font caca par la fenêtre).
Ce détail pictural saugrenu suffirait presque à rendre compte de l’esprit général qui baigne les trois films de la réalisatrice. Tout y est bancal, désordonné et inattendu ; les situations et les réactions des personnages sont également inhabituelles et déroutantes et on y passe facilement du rire aux larmes. Dans Un Château en Italie, la comédienne y interprète une femme de « 43 ans, bientôt 44 », qui avoue fièrement « être une dame » qui a laissé tomber son métier, vit seule à Paris en compagnie d’un majordome et se partage des deux côtés des Alpes pour soigner son frère et régler les affaires familiales. Elle y rencontre Nathan, plus jeune qu’elle, comédien lui aussi en plein marasme. Comblera-t-il ses envies d’amour et d’enfant ?
Les scènes burlesques, sans cul ni tête, constituent les meilleurs moments du film – notamment, cette visite à Naples dans un couvent où s’asseoir sur une chaise prétendue miraculeuse porterait tous les espoirs de fertilité. Le retour récurrent d’un ancien ami de la famille, qui a sombré dans l’alcoolisme et sollicite son porte-monnaie, donne aussi naissance à des instants décalés. Pourtant, on reste définitivement en retrait d’une histoire tragi-comique, toutefois banale, parce qu’elle concerne un milieu terriblement favorisé – en dépit du fiasco annoncé – dont les soucis nous paraissent futiles et lointains. On voit bien percer par moments l’élégance qui vise à repousser le désespoir, dissimulé sous les oripeaux de la fanfaronnade et du lâcher prise, mais il y manque une authentique profondeur comme si la cinéaste avait craint de fouiller plus encore dans les épreuves traumatisantes.
Néanmoins, la distance ironique adoptée par Valéria Bruni-Tedeschi permet de sauver l’ensemble d’un apitoiement narcissique et nombriliste, même si on se pose au final la question d’une démarche très fabriquée, et donc maitrisée, pour se mettre tout le monde dans la poche. Ainsi se déploie un jeu subtil avec les codes, principalement vestimentaires, qui viseraient à normaliser des individus, pourtant hors-normes. Ce qui finit par limiter l’ambition et cantonner le film à un objet exotique et fantaisiste, rafraichissant et primesautier, mais aussi un peu vain. Peut-être la thérapie que s’offre la réalisatrice – dont on veut bien accepter la nécessité et la légitimité – ne trouve-t-elle pas là les meilleures voies à emprunter, laissant le spectateur sur les berges du fleuve de la mémoire.