Un condamné à mort s'est échappé est le quatrième long-métrage de Bresson mais seulement son premier succès commercial. C'est aussi son plus symptomatique, puisqu'il porte en lui tout le sel, toute la grammaire de son cinéma. Le dépouillement de l'image rivalise d'austérité avec la monotonie des dialogues et des différents sons qui jalonnent l'évasion du jeune lieutenant de la résistance française Fontaine. Le langage utilisé par Bresson est celui, plus que du documentariste, du scientifique. Mais également du poète. Un mariage quasi-impossible, l'économie et l'affutage du premier s'opposant à la richesse et la fécondité du second. Or, plutôt que de se gloser sur lui-même à l'infini, cet immémorial antagonisme s'hybride au sein d'une poésie radicale qui parvient intelligemment à creuser son sillon vers une sensibilité dénuée de lyrisme : elle s'alimente du quotidien facile ou difficile du détenu et non de son imaginaire ou de ses regrets. Comme dans les poèmes de Francis Ponge, les objets du quotidien, disposés dans sa cellule, se meuvent par la foi et l’inébranlable volonté du résistant. Il n'est jamais fait mention de l'après évasion, de la beauté de la liberté ou de la paix à venir. La liberté commence ici dès échangés les premiers mots avec l'extérieur, crochetées les menottes du fascismes, ou élaborées les premières étapes de l'évasion. La liberté s'y exerce dans un cadre contraint. Condition minimale à la pleine mesure de son exercice semble-t-il. C'est toute la problématique du libre arbitre que soulève ici Bresson. Cet aiguisage du langage cinématographique s'accompagne évidemment d'un appauvrissement des concepts qu'on pourrait y trouver habituellement et d'un renoncement grave : le renoncement à la manière infiniment riche et variée qu'on les mots, les unités élémentaires de ce langage, de s'imbriquer. Pourtant, de cette radicalité naît quelque chose de profondément beau et émouvant : un dessèchement de la pellicule et une osmose immuable. L’âpreté de la mise en scène colle à la tragédie qu'elle raconte. Les premières notes du Kyrie de la Messe en ut de Mozart baigne le début du long-métrage et les dernières le clôturent alors que Fontaine et son jeune co-détenu disparaissent dans la nuit lyonnaise. Et que leur peine se commue en une ode au courage et à la liberté, en une Grande-Messe pour l'évasion.