Le documentaire a ceci de singulier qu’il peut tenir à des miracles : c’est en suivant un avocat commis d’office que Xavier de Lestrade est mis au courant d’une affaire pour le moins trouble, accusant un jeune noir d’homicide sur un dossier pourtant troué de tous côtés.
Le voilà donc à suivre le déroulement de l’affaire, comme il le fera l’année suivante dans la mythique série Soupçons.
Les similitudes avec Le Dossier Adams, réalisé 15 ans plus tôt, sont légions : même regard sur le système, même dossier à charge sur le travail bâclé de la police, même état des lieux sur un pays à bout de souffle bafouant toutes ses valeurs pour faire du chiffre et nourrir des statistiques. L’accusation va ici plus loin, dans la mesure où la question du racisme est centrale, et qu’elle se double d’un regard frontal sur les violences policières, les agents ayant obtenu par la force les aveux d’un jeune homme de 15 ans, après l’avoir isolé dans les bois et frappé à plusieurs reprises.
Mais la différence réside dans la temporalité du récit : suivi en direct (là où Le Dossier Adams refaisait l’enquête a posteriori), il ménage une tension phénoménale, construite comme les meilleurs thrillers, où l’accumulation des preuves d’innocence accroit les attentes quant au verdict. 3 époques cohabitent : celle de l’enquête, celle du procès et, immédiatement après lui, celle des debriefs avec les avocats commis d’office, expliquant les rouages et les méthodes employées pour arriver à leur fin, notamment en mettant les policiers face à leurs criantes contradiction.
Alors que le jeune accusé Brenton Buttler reste en retrait, comme s’il était réduit au statut de spectateur de sa propre destinée, la parole est surtout donnée à la ruche qui l’entoure. La certitude nauséabonde des agents de police, le désarroi des parents qui s’en remettent à leur foi pour encore garder espoir, et, surtout, ces deux avocats persuadés de l’innocence de leur client, et ne ménageant par leurs efforts pour lui donner la voix qu’on lui refuse. Une façon, pour le documentariste, d’équilibrer le pessimisme général du propos, en honorant les vaillants soldats veillant à ce que le système ne sombre pas totalement.
La victoire de la vérité est un soulagement qui achève de justifier le combat de ces derniers humanistes. On aurait aimé que l’histoire s’arrête là. Car elle partage malheureusement une autre similitude avec Le Dossier Adams, à savoir l’empoisonnement des relations entre le documentariste et son personnage suite à sa réhabilitation. Entre malentendus et dévoiements mercantiles, l’après film révèle aussi le gouffre qui sépare la culture américaine du regard français, et la façon dont le récit se trouve finalement souillé par un retour très pragmatique des priorités les plus mesquines. De Lestrade, désireux de reprendre contact avec Buttler dix ans plus tard, en fera la cruelle expérience.
Plus d’info sur cette suite avortée :
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