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C’est l’une des belles surprises de la 71ème édition du Festival de Cannes : la présence en compétition du seulement deuxième long-métrage d’un des auteurs les plus passionnants du cinéma français actuel. Après Les rencontres d’après minuit (2013) qu’on avait découvert à la Semaine de la Critique, Yann Gonzalez signe ni plus ni moins que l’un des plus beaux et généreux films vus cette année à Cannes.
« Je voudrais qu’on forme une famille… On pourrait apprendre à vivre ensemble et s’aimer plus longtemps que tout le monde, parce qu’on serait une famille. Parce qu’une famille, on ne la quitte pas comme ça, on l’a pour toute la vie. On pourrait essayer, tu ne penses pas ? Tu ne penses pas que ça pourrait être très beau ? » Nous avions laissé le cinéma de Yann Gonzalez sur ce magnifique cri du cœur lancé par Kate Moran à l’adolescent Alain-Fabien Delon et sa gouvernante travestie, interprétée par le génial Nicolas Maury à la fin des Rencontres d’après Minuit (2013). Retrouver le cinéma de Gonzalez, c’est le sentiment de retrouver une famille effectivement. Une famille de visages et d’acteurs d’abord – Kate Moran et Nicolas Maury sont donc encore là, on aperçoit également non sans sourire Bertrand Mandico en réalisateur qui témoigne d’une très belle présence, mais aussi beaucoup d’autres amis du cinéaste. Mais c’est avant tout une famille transgenre, dans tous les sens du terme, faite de personnages marginaux, voyageant dans une sorte de vaste cabinet de curiosités, de références, de codes réutilisés ou travestis. Pourtant, ce cabinet ne semble jamais être le résultat d’un amoncellement. Il n’y a pas d’usure au fur et à mesure que les différentes couches de références, de genres, s’ajoutent les unes aux autres créant finalement une fragile et gracieuse harmonie.
Dans Un Couteau dans le Cœur, on retrouve la famille de Gonzalez plongée dans le milieu du porno gay, plus précisément dans une boîte de pornos disons au rabais, dirigé par Anne, une femme alcoolique, amoureuse, et subliment interprétée par une Vanessa Paradis totalement possédée. Cette famille est en crise. C’est d’abord une crise amoureuse, Anne cherchant à faire renaître l’amour qui l’unissait à Loïs, sa monteuse, qui vient de la quitter. L’audace de Gonzalez est de ne pas du tout chercher à minimiser cette crise, il se plonge avec son personnage à coeur perdu dans cet amour fou, vorace, immense, qui inonde le cœur d’Anne. Dans une magnifique scène nocturne sous la pluie, elle réclame une dernière fois l’amour de Loïs, la forçant, l’agressant : « Tu dois m’aimer » hurle-t-elle. C’est aussi, mais finalement pas avant tout, une crise sanglante. Un tueur mystérieux et masqué s’attaque en effet au couteau à cette famille : il tue un à un les acteurs de la société. Le film s’ouvre sur cette violente crise : un jeune homme suit le tueur dans une boîte de nuit jusqu’à son lit, avant d’être brutalement assassiné par plusieurs coups de couteau – ou plutôt de god-couteau, le meurtrier étant armé d’un godemichet tranchant – dans le rectum. Un coup de couteau dans le cul. Ce premier meurtre, monté avec des rushs du film que tournait le comédien, est magnifique. Le corps du comédien s’agite, magnifique, sur la pellicule crépitante qui tourne, tandis que celui-ci se meurt. Sans être véritablement une scène d’horreur, on y trouve ce qui fait la puissance du cinéma de Gonzalez : un lyrisme poignant, accompagné par la bande originale magnifique de M83, et quelque chose de spectral. C’est un cinéma de fantômes, ce qui peut-être un oxymore. Car pour Gonzalez, filmer semble être un processus de résurrection de fantômes. Les fantômes de genres presque disparus – ici le Giallo particulièrement – mais aussi les fantômes de figures de cinéma et d’actrices – Vanessa Paradis bien sur, mais aussi Romane Bohringer, sublime dans des scènes avec Jacques Nolot évoquant un fantastique à la Franju.
Pour lire la suite:
http://faispasgenre.com/2018/05/un-couteau-dans-le-coeur-critique/
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Créée
le 27 mai 2018
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