... to sweep us up into the White House with powers that will make martial law seem like anarchy!"
"Un Crime dans la tête" présente un intérêt tout à fait surprenant, loin des considérations traditionnelles en matière de thriller psychologique et/ou politique. Le film ayant été produit en pleine guerre froide, et étant sorti pour ainsi dire en pleine crise des missiles de Cuba (du 14 au 28 octobre 1962, alors que le film date du 24), on ne l'aborde pas vraiment d'un œil innocent. Et John Frankenheimer donne du grain à moudre au spectateur qui s'attend à une charge anti-communiste primaire caractéristique de la période. Dans un premier temps, en tous cas.
En adaptant le récit de soldats américains capturés par des Chinois pendant la guerre de Corée, et en donnant à voir de manière frontale les effets d'un lavage de cerveau, "Un Crime dans la tête" instille assez vite la peur du Rouge infiltré, du robot commandé à distance par l'Union soviétique. Mais alors qu'on pensait avoir cerné les intentions des auteurs, l'anti-communisme attendu se double d'une seconde charge, virulente, à l'encontre des Républicains, de leur soif de pouvoir et de leur absence d'éthique. Le scénario brouille ainsi toutes les pistes, que ce soit au niveau du thriller pur (en arborant les intrigues labyrinthiques d'un film noir) ou du brûlot politique (en multipliant les pistes idéologiques). La réalité dépassera la fiction un an plus tard, le 22 novembre 1963 à Dallas.
Et c'est là que Frankenheimer vise juste, lorsqu'il aborde la mascarade électorale aux États-Unis avec un regard abrasif sur les logiques politiques. À travers les discours des candidats à l'investiture, à travers les écrans de télévision, à travers des personnages comme ce prétendant idiot qu'est Iselin, il traite du viol et du vol électoral. La peur aveuglante d'un spectre étranger permet à de sombres crétins d'accéder au pouvoir. Le personnage d'Eleanor Iselin, femme manipulatrice du candidat, est particulièrement inquiétante, notamment lorsqu'elle déclare avec fureur "Rallying a nation of television viewers into hysteria, to sweep us up into the White House with powers that will make martial law seem like anarchy!".
À condition d'oublier certaines facilités liées à l'époque et certains seconds rôles anecdotiques (celui de Janet Leigh est plutôt obscur), la réflexion sur le contrôle des électeurs et la puissance mystificatrice des médias est plutôt séduisante. La séquence du "cauchemar" conserve une efficacité sur le plan technique suffisante pour marquer les esprits, et compense un peu le pathos patriotique et héroïque final. En dépit des écueils de son adaptation, John Frankenheimer proposait en 1962 quelque chose d'infiniment plus cinglant que le remake désespérément tiède que Jonathan Demme signera 40 ans plus tard.
[AB #104]