Le pitch est très simple. Un vieil homme, peintre à ses heures, accueille ses enfants et ses petits enfants au sein de son vaste domaine, en pleine campagne. Il habite seul avec son intendante, et le film commence par des plans séparés, marquant dès le départ l'isolement de notre héros aux cheveux blancs. Un dimanche à la campagne est une tranche de vie d'une famille avec ses hauts, ses bas, qui rappelle favorablement le très fameux Gens de Dublin de John Huston , dernière acte de paix avant son dernier souffle. Les deux films se rejoignent car, issus tous deux de la littérature, ils portent en eux une petite flamme éternelle et insoupçonnable, celle de la tendresse qui peut régner au sein d'une famille, entre deux regards, grâce à une parole anodine pour le commun des mortels, mais pas pour le spectateur, lecteur, qui devient le témoin de l'indéchiffrable : il est omniscient.


Et c'est ce que j'aime particulièrement avec cette magnifique ballade que nous offre Bertrand Tavernier, ce sentiment d'abandon mêlé à une toute-puissance narrative. Portés par la voix off de Tavernier, les différents protagonistes s'enchaînent tour à tour, parfois se croisent, se recroisent, toujours sous l’œil aguerri, enchanteur et terriblement bouleversant du vieillard, incarné avec une émotion déconcertante par Louis Ducreux. Car, si Sabine Azéma crève l'écran tant sa beauté subjugue et sa mélancolie dissimulée tord le cœur du spectateur, c'est bien par Louis Ducreux que toutes les scènes prennent du galbe et de l'intérêt. A la fois vieux loup solitaire et terriblement attaché aux membres de sa famille, il a un regard différent sur les différents apports de la cellule familiale et semble plus concerné, plus à l'écoute, moins indépendant affectivement que les autres personnages. Il est le centre de gravité de la famille mais aussi le maillon défaillant, celui sur qui on devrait se reposer, mais qui aurait plus que quiconque besoin d'une épaule pour épancher la douleur émotionnelle du quotidien.


Au rythme de plans lents, mais jamais sans désinvolture, Bertrand Tavernier suit souvent ses personnages sans cuts, comme un lien invisible et imperfectible qui les relie et crée par la même occasion une certaine connexion entre eux et le spectateur. Certaines scènes, dont celle qui précède la danse où la toute dernière, sont de véritables pierres précieuses, où se dégage une authenticité extrêmement rare au cinéma, un sentiment encore brut, que rien n'altère, qui semble sans fonctionner sans même le support du septième art. Un dimanche à la campagne fait partie de ces films qui retranscrivent l'insondable, cette partie de l'âme humaine, sur le pallier de la mort, qui juge sa vie et celle des autres, avec nostalgie, espoir et ambition. Un grand film ? Peu importe, un grand moment d'existence.


Je me permets de vous conseiller quelques films, qui ont pour point d'orgue une sensibilité commune :


Café Lumière (Hou Hsiao-Hsien, 2004)
Une journée particulière (Ettore Scola, 1977)
Le Promeneur d'oiseau (Philippe Muyl, 2014)
Quelques heures de printemps (Stéphane Brizé, 2012)
Oslo, 31 août (Joachim Trier, 2011)

EvyNadler

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