Il serait sans doute bien présomptueux d'établir une filiation directe entre Un Drame au studio et le film le plus connu d'Anthony Asquith, L'Ombre d'un homme (The Browning Version), mais il reste tentant de trouver un point commun, à cheval entre cinéma muet et cinéma parlant à plus de vingt ans d'intervalle, dans le classicisme très raffiné de ces deux films.


Classicisme dans le registre mélodramatique, déjà, avec les contraintes existentielles qui précipiteront l'héroïne interprétée par Annette Benson vers le drame — mais pas exactement celui qu'elle avait orchestré à l'encontre de son mari. Il y a une aisance manifeste dans la façon de traiter le sujet, dans les relations conflictuelles à l'époux et à l'amant, qui rendent les enjeux tout à fait intelligibles 90 ans plus tard. L'importance de la carrière au détriment du reste, la menace du divorce sans consentement mutuel, et surtout la dualité devant / derrière la caméra avec toutes les influences que peuvent avoir ces deux univers l'un sur l'autre : autant de thématiques qui conservent une certaine modernité.


C'est ainsi, avant tout, une peinture de l'envers du décor cinématographique, à l'image d'un autre film (réalisé par Josef von Sternberg) sorti la même année, Crépuscule de gloire, dans son premier et son dernier segment. Le couple formé par les acteurs Mae Feather et Julian Gordon des deux côtés de l'écran est aussi parfait sur pellicule qu'il vacille dans la réalité de leur intimité. Shooting Stars (le titre en version originale, "étoiles filantes", formulation beaucoup plus riche faisant référence à la fois au caractère éphémère de la célébrité, au tournage sur un plateau, et à la modalité du drame) développe un large tissu thématique autour des métiers du cinéma, et se fait parfois satirique dans l'interprétation, notamment lorsque une doublure a un accident après avoir dévalé une colline à vélo et que des journalistes annoncent à la radio que c'est l'acteur principal qui est grièvement blessé. Et Mae Feather ne jouera jamais aussi bien la femme dévastée que lorsque son mari (dans le film comme dans le film dans le film) sera réellement menacé par une arme chargée avec de vraies balles. Sur ce dernier point, on peut noter une inversion des rôles classiquement attribués à l'amant et au mari.


Il y a en outre de beaux gestes techniques pour l'époque, avec des mouvements de caméra très maîtrisés pour effectuer un balayage horizontal d'un lieu, des illustrations dignes d'un cartoon pour sous-titrer à l'image ce qui se dit à la radio, des séquences très riches en sensations pour traduire l'état d'esprit de la femme lorsque un tube de rouge à lèvre lui fait penser à une balle de fusil et suscite des pensées peu orthodoxes, ou encore l'ultime plan du film qui voit une actrice éplorée s'enfoncer dans la pénombre d'un studio alors qu'elle sombre dans l'oubli.


http://www.je-mattarde.com/index.php?post/Un-Drame-au-studio-de-Anthony-Asquith-et-A-V-Bramble-1928

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le 5 déc. 2018

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Morrinson

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