Escape time
Avec son dernier trip onirique, le cinéaste chinois ne fait que fortifier la magnifique réputation qui le précède : celle de devenir prochainement l’un des meilleurs réalisateurs chinois de son...
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le 25 janv. 2019
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Avec son dernier trip onirique, le cinéaste chinois ne fait que fortifier la magnifique réputation qui le précède : celle de devenir prochainement l’un des meilleurs réalisateurs chinois de son époque. Derrière cette vague histoire d’un homme qui revient sur les terres de son enfance afin de rechercher le souvenir d’une femme qu’il a tuée il y a bien des années auparavant, Bi Gan crée un espace mental incommensurable et une montée en apesanteur qui se confondra avec des rêveries oniriques inoubliables.
Kaili Blues n’était qu’une ébauche du talent sans limite du réalisateur. Dans Long Day’s Journey Into Night, le cinéaste continue à s’amuser avec le temps où il s’entête à vouloir déconstruire ses structures narratives pour lier l’image du réel à l’inconscient d’une mémoire. Il va sans dire que l’œuvre, tout comme Kaili Blues, se révèle être un objet aussi déroutant que fascinant, notamment dans sa propension à manipuler la méditation et à ciseler à bon escient la beauté de son cadre.
Dans une Chine rurale faite de bars de quartiers ou de longues rues nocturnes aux néons criards, Bi Gan filme avec apesanteur l’errance de cet homme en quête d’un visage qui le hante. Non sans talent, le jeune auteur chinois imbrique ses premières séquences les unes après les autres, sans que celles-ci ne détiennent une chronologie bien distincte. Ce n’est que petit à petit que les pièces du puzzle s’imbriqueront dans récit à la symétrie alambiquée, devenant par le biais des choses, une séance d’hypnose cinématographique foisonnante. Alors que Bi Gan se dit lui-même influencé par des grands noms tels que Tarkovski, son cinéma se raccorde surtout, dans un premier temps, à celui de Hou Hsia Hsien ou Apichatpong Weerasethakul dans l’esthétique de son cadre et dans l’évocation figée d’une approche qui ramifie une réalité naturaliste, voire documentariste, à un soupçon d’effluves fantastiques. De cet homme, on ne sait rien de prime abord, mis à part un secret du « revolver » qui le ronge, et le fait qu’il hume les rues à en perdre la raison et les sens.
Dans un premier temps, Bi Gan esquisse le quotidien inanimé, lie sa dynamique à des moments de vie qui se superposent les uns aux autres comme dans un entonnoir ouaté, des flashs qui crépitent pour délivrer des instantanés, des polaroids à la poésie vacillante à l’image de ces embrassades de ce couple imaginé ; de ces émouvantes discussions au parloir, ou comme en témoigne ce plan magnifique où un garçon mange une pomme face caméra avec une jeune demoiselle à son épaule, portrait qui ressemble trait pour trait aux Anges déchus ou Nos années Sauvages de Wong Kar Wai. De ce cinéma, se dégage un sentiment apaisé, nos sens tombent des nues, et une austérité parcellaire ne surlignant jamais ses effets de film d’auteur se rapproche. Long Day’s Journey Into Night pourrait être une simple chronique d’une population rurale en déliquescence, de rêves brisés par le temps qui passe et dont il est impossible de revenir en arrière.
Mais le long métrage de Gan Bi s’accapare le temps en fil conducteur de son cheminement fantasmatique, voit cet homme au regard déchiré faire des sauts dans le temps sans que l’on comprenne ce qu’il nous arrive réellement. Cette volonté de rallier la notion de temporalité à la réalité se fait écho par cette contingence dans l’imagerie, ces petites fulgurances graphiques comme en atteste la découpure générale de son film. Mais ce n’est qu’à partir de sa deuxième partie que l’œuvre tire toute sa singularité, par l’exécution d’un plan séquence de 1 heure en 3D qui nous offre la plus belle mise en scène de ce Festival de Cannes 2018.
Mais au lieu de seulement chercher la présence de cette femme, c’est un village monde qui va se dessiner devant nos yeux et les connexions d’une mémoire qui va se diluer entre passé, présent et futur, durant la manifestation d’une narration qui se brise sur l’échiquier de la lévitation. À l’aide de ce plan-séquence, Gan Bi crée un espace-temps intemporel aussi pudique qu’émouvant, voyant un homme dévisager le bilan d’une vie, lui permettant d’exorciser les spectres de parents partis ou l’éveil d’un ancien amour perdu.
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le 25 janv. 2019
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