La destinée d’exception a toujours intéressé Kazan : qu’il s’agisse de s’emparer de figures qui construisent l’histoire, ou jouent un rôle déterminant dans un contexte contraignant, le cinéaste construit le plus souvent des portraits d’individus fonctionnant comme les grains de sables dans un engrenage, et s’attache à mettre en valeur une singularité qui cristallisera bien des souffrances.
A face in the crowd fait, en un sens, exception à ce schéma. Dans ce récit où l’on repère une grande gueule joviale qui sait parler au public, il s’agit d’aller chercher le représentant idéal de cette masse anonyme, pétri de bon sens, sans filtre et doté de cette spontanéité qui manque tant aux orateurs.
L’authenticité, chez Lonesome Rhodes, s’impose à tous, et notamment à Marcia qui va monter en épingle cette brutale célébrité pour faire de lui ce qu’on appelle communément aujourd’hui un influenceur.
Toute la première partie fonctionne à merveille, dans cette interaction complexe entre la sympathie de ce M. tout le monde et le cynisme grandissant avec lequel le système exploite son rayonnement. Alors qu’on peut s’attendre, sur le modèle du cinéma de Capra, à voir l’individu ployer sous le joug de la collectivité avant de lui donner une leçon salvatrice, la direction prise par Kazan est plus acide. Son personnage s’avilit au contact du succès et du pouvoir, et Marcia, son mentor, se voit progressivement reléguée dans l’ombre à mesure que l’effroi grandit face aux dérives de sa création.
S’en suit un panorama satirique plutôt vivifiant, qui n’épargne à peu près personne et pose la question des collusions entre le monde du spectacle et du pouvoir. De la publicité aux politiciens, tous ont compris que la télévision est l’opium du peuple, et voir un cinéaste s’emparer du sujet n’est pas dénué de saveur, surtout lorsqu’on connait ses déboires dans cet épineux sujet qu’est celui des liens entre idéologie et industrie du divertissement.
Face à son gueulard de plus en plus sûr de lui, Patrica Neal (grande comédienne, à qui l’on doit notamment la superbe prestation de Hud en 1963) joue une partition subtile, à la fois maternelle et féminine, alter-ego du cinéaste contemplant une œuvre en cours et dont la progression lui échappe.
Il est donc d’autant plus regrettable de voir à quel point le récit va s’embourber dans sa dernière partie, où la fable va se faire on ne peut plus explicite par crainte que le sens ne nous en échappe. Un protagoniste de plus en plus cynique, une femme blessée, des marques bien soulignées du poujadisme et de ses dérives, autant de traits caricaturaux qui trouvent leur point d’orgue dans cette révélation finale très théâtralisée.
Dommage : recourir à de tels procédés revient à considérer les spectateurs à égalité de l’audience conspuée dans le récit ; et il y a là de quoi en prendre ombrage.
(6.5/10)