Avant L'Homme à la tête de caoutchouc (1901) et Le Voyage dans la Lune (1902), Méliès était hyper-actif. Il avait déjà à son compte des centaines de films de une à trois minutes, comme Le cauchemar (1896) ou La Lune à un mètre (1898). Certains sont même de petites révolutions, Le manoir du diable (1896) étant l'un des premiers films d'Horreur (le premier si on excepte The Execution of Mary, d'à peine 20 secondes) et Après le bal (1897) le premier à contenir une scène de nudité.
Avec Un homme de têtes, Méliès met à profit la technique de l'incrustation, ce qui implique la maîtrise du split screen [écran divisé]. L'usage est comparable à celui opéré pour La conquête de l'air avec Zecca en 1901, soit trois ans plus tard (il participera aussi à faire de The Great Train Roberry -1903- un phénomène). Méliès utilise la réserve 'noire' pour glisser ses surimpressions, tandis que le film de Zecca présentera un fond défini, une vue sur l'extérieur (la ville). Le film montre un homme retirant quatre fois sa propre tête et le rendu visuel est crédible, lois naturelles élémentaires mises à part.
Méliès montre encore une fois que le cinéma peut générer des aperçus inédits et totalement subjectifs, au lieu de graviter autour de la forme documentaire qui a marqué ses balbutiements (et à laquelle les Lumière resteront davantage liés). Aux qualités techniques remarquables s'ajoute le charme de la petite histoire racontée par Méliès et son efficacité même hors-contexte. L'audace reste prégnante et si l'effet n'impressionne plus, le style compense encore. Le grand-guignol est apaisé par la comédie ; les têtes sont récalcitrantes aux ordres, le climat est quasiment euphorique. Parfois renommé L'Homme aux quatre têtes embarrassantes, ce film est l'un des plus drôles de Méliès (avec notamment Le déshabillage impossible).
Le prestidigitateur devenu magicien pour l'écran exploitera souvent sa propre tête, allant jusqu'à répéter ce numéro, notamment dans Une bonne farce avec ma tête (1904). En plus de toutes les occasions qu'il prend de passer devant la caméra (dès sa première réalisation, Une partie de cartes en 1896), Méliès fera de son corps le sujet de plusieurs expérimentations plus ou moins 'avant-gardistes'. Ainsi il se démultiplie dans L'Homme-orchestre (1900) et devient le sujet animé d'un tableau dans Le portrait mystérieux (1899).
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